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loin, une femme a fait le signe de la croix ; une autre l’a montrée du doigt en parlant à sa voisine ; des portes se sont brusquement fermées pendant que les chiens aboyaient et que les petits enfans ouvraient de grands yeux en collant leur front aux carreaux.

Petit à petit, la rumeur grandit. À mesure que la vieille s’enfonce davantage dans le village pour regagner sa maison, la dernière, là-bas, dans un coin isolé, les conversations s’animent, les groupes se forment, les gamins s’assemblent pour méditer quelque mauvais coup. Tout à coup, l’explosion se fait : « La sorcière ! la sorcière ! » Partout on entend le mot mystérieux prononcé avec frayeur, avec colère, quelquefois avec une sorte de sentiment de respect, comme on en a pour une chose qu’on ne comprend pas ; rarement avec ironie. Les gamins, qui ont toujours besoin de se venger de quelque chose, ramassent des pierres et les jettent, jusqu’au moment où la pauvre vieille, tremblante, brisée de fatigue, ne comprenant rien, roulant dans sa bouche quelques paroles incohérentes, disparaît par sa porte entre-baîllée, tandis que les cailloux pleuvent, accompagnés des injures et des malédictions et du cri répété par chacun : « La sorcière ! la sorcière ! »