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seconde vue comme le sont, parait-il, les grands poètes, avait prévu Goffard.

Goffard, à Paris, eût fait peut-être fortune ; il y serait, en tous cas, devenu légendaire. Il a préféré rester dans sa ville natale. Rouen lui en sera éternellement reconnaissant. Il était reçu partout avec un sourire, et pour lui toutes les bourses se fussent ouvertes ; mais il refusait l’argent. Si, dans ces derniers temps, assombri par la misère, il avait eu recours à une association avec Gamelin, pour donner des concerts sur les bateaux-omnibus, il avait du moins l’art : use de dire qu’il ne travaillait que pour l’art, car c’était Gamelin seul qui faisait la quête.

Il était devenu le dieu protecteur des restaurans de nuit de la rive gauche. Quand on entendait de la rue les soupirs d’un violon, on disait : « Goffard est là. » C’était suffisant pour qu’on entrât.

Et il s’interrompait pour vous tendre sa grosse main, avec un mouvement de molosse bon enfant qui donne la patte.

Il avait pour tout le monde le même épanouissement de visage, c’est pourquoi tout le monde l’aimait. Il ne fut venu à personne l’idée de lui refuser un service, mais il n’eut jamais l’idée d’en demander un.

Les ouvriers du port, les débitans, les pe-