Page:Frémont - Les Français dans l'Ouest canadien, 1959.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Plus loin vers l’ouest :
Cantal, né en pleine tempête ;
les premiers défricheurs de Bellegarde

Mais bientôt Grande-Clairière n’eut plus un pouce de terre disponible pour les colons qui ne cessaient d’affluer. Il fallut partir en excursion vers l’ouest, afin de découvrir des lieux propices à de nouveaux établissements. Ce fut l’origine des deux centres de Cantal et de Bellegarde, dans la province voisine de la Saskatchewan.

La fondation de Cantal, en 1892, se fit dans des circonstances particulièrement difficiles, qui faillirent entraîner un désastre. La caravane de colons, partie de Grande-Clairière au printemps, fut assaillie en cours de route par une violente tempête qui désorganisa le convoi. On craignit un instant pour la vie de quelques-uns des hommes, obligés de passer la nuit sans abri d’aucune sorte et dans des conditions effroyables. Une fois atteint le but du voyage la neige, le vent et le froid reprirent de plus belle, rendant impossible toute orientation et tout repérage des lignes de division des lots. C’était plus qu’il n’en fallait pour décourager les meilleures volontés et provoquer un mécontentement général. Tous maugréaient qu’on les avait trompés, que la région ne valait rien pour la culture et que le mieux était de rebrousser chemin vers des lieux plus hospitaliers.

L’abbé Gaire, dont la responsabilité se trouvait en jeu, dut faire acte d’autorité afin de conjurer une panique menaçante. « Le sol, déclara-t-il avec force, est de qualité supérieure. Ce serait folie d’y renoncer et de chercher mieux ailleurs. Ayons le courage d’attendre la fin de la dure épreuve que Dieu nous envoie et tout s’arrangera ». La parole ferme du prêtre, dont le dévouement aux intérêts des colons ne pouvait être mis en doute, calma les esprits et raffermit les cœurs défaillants. La bourrasque apaisée, le paysage prit vite un tout autre aspect, sous les rayons d’un soleil printanier. Le petit abbé avait raison : la terre était excellente. Ses compatriotes se mirent à travailler avec entrain à une première installation rudimentaire.

Bellegarde, ouvert l’année suivante, connut un autre genre de difficulté. Ceux qui avaient décidé de s’y établir vinrent de Grande-Clairière, pendant l’été, pour les premiers défrichements de la prairie. L’enthousiasme des débuts tomba rapidement lorsqu’on se rendit compte que le sol offrait une certaine résistance à se laisser entamer par le soc de la charrue, ce qui fit naître des doutes sur sa qualité. La cause en était simplement une période de sécheresse passagère. Pour détruire cette mauvaise impression, l’abbé Gaire y envoya Cyrille Sylvestre et ses quatre fils — des hommes s’y entendant aux travaux agricoles et jouissant de l’estime de tous. Après une étude sérieuse, leur conclusion fut que tout le district possédait une grande valeur arable.


Dans leurs huttes de gazon

Les Sylvestre, originaires de Villards-sur-Thônes (Haute-Savoie), baptisèrent la nouvelle colonie Bellegarde, en souvenir d’un lieu cher à la famille au pays natal, et s’y fixèrent définitivement. Deux des fils, Alexis et Charles, devinrent Frères Oblats. Le second, décédé en 1952, rendit de grands services à sa communauté comme constructeur et mécanicien. Les deux autres, mariés, ont laissé une nombreuse descendance dans la région.

Les premiers défricheurs, qui s’étaient d’abord contentés de huttes en gazon, revinrent passer l’hiver à Grande-Clairière. C’est en 1894 qu’ils s’installèrent pour de bon, avec femmes et enfants. Cantal et Bellegarde ne tardèrent pas à devenir des centres prospères, aux grandes fermes bien outillées, connus pour leurs magnifiques troupeaux de bêtes à cornes et de chevaux.

Les ouailles du curé de Grande-Clairière, composées d’éléments très divers venus d’un peu partout, ne furent pas toujours d’un maniement facile. Parmi ces familles en grande majorité foncièrement chrétiennes, il s’était glissé quelques sujets douteux qui causèrent des ennuis au pasteur. La prospérité étonnante des débuts de la colonie donna lieu à de fâcheux désordres. Dans les années 1890 et 1891, les cultivateurs bénéficièrent d’abondantes récoltes — juste récompense de leurs travaux de défricheurs — et l’argent coula à flots. De jeunes célibataires, que les mois d’hiver laissaient désœuvrés, en profitèrent pour organiser de joyeux banquets et des soirées dansantes qui se signalèrent par un peu trop de libertés. Le curé usa de fermeté pour mettre un frein à cette vague de licence qui menaçait de contaminer sa paroisse. La Providence lui vint en aide par une distribution moins libérale de ses dons. Quelques années de récoltes médiocres firent plus que ses sévères remontrances pour tout remettre en place. Il se trouva que les plus acharnés danseurs avaient été aussi les plus forts emprunteurs. Le départ forcé de quelques-uns assainit la communauté et soulagea le pasteur de ses inquiétudes.


Wauchope, dernière paroisse desservie par l’abbé Gaire

Dès que Grande-Clairière et ses deux sœurs cadettes — Cantal et Bellegarde — purent se passer des services personnels de leur fondateur, celui-ci, mû par son zèle de missionnaire colonisateur, s’enfonça plus avant dans l’Ouest. Il alla planter sa tente à Wauchope, sur la ligne du chemin de fer qui relie Winnipeg à Régina. C’était en 1902 et il n’y avait là qu’une seule famille, celle de Maurice Quennelle, venue de son ancienne paroisse de Loisy (Meurthe-et-Moselle). Grâce aux efforts de l’abbé Gaire, on y comptait quinze catholiques trois mois après. La nouvelle paroisse allait grossir rapidement, comme ses trois aînées. Bientôt arrivèrent Alphonse Mansuy, de Saint-Dié (Vosges) ; Pierre Escaravage, de Nantes ; Émile Le-