Notre-Dame-de-Lourdes. Il n’eut pas de difficulté à le convaincre de choisir plutôt la Rivière-Tortue. Un an environ après le départ de Didion d’Anvers, un de ses neveux, Émile Abraham, qui habitait le hameau de Goviller, situé entre Colombey-les-Belles et Vézelise (Meurthe-et-Moselle), venait le rejoindre. Puis ce fut le tour d’un autre neveu et d’une nièce, Eugène et Zénaïde Abraham. Dans le même temps étaient venus : Ernest Béasse, André Buguet, Siméon Delveaux, Jean-Baptiste Feuillâtre, Ludovic Normand et Édouard de la Forest, tous du Pas-de-Calais ; Charles Jacob, de l’Allier ; Olivier Lecomte, de l’Ille-et-Vilaine. Emmanuel Béasse, fils d’Ernest, arriva un peu plus tard. Normand et La Forest devaient passer dans la province voisine.
Cruelle tragédie des débuts : un colon dévoré par les loups
Une pénible tragédie marqua cette première phase de la colonie. La fille ainée de Dupuich n’était pas allée plus loin que Winnipeg. Elle y avait épousé presque aussitôt un Italien, Di Marco, sensiblement plus âgé qu’elle, qui tenait un petit restaurant. Le père, dénué des ressources nécessaires pour travailler sur son homestead, était revenu chez sa fille, dans l’espoir de trouver quelque besogne en ville. Il y resta un certain temps à donner des leçons de français. À l’automne, désireux de revoir les siens, il se mit en route et profita d’une occasion pour se rendre en voiture jusqu’à Gladstone ou Arden. Il s’engagea ensuite à pied sur des pistes qui suivaient le coteau en direction de Sainte-Rose. Plusieurs semaines après, on retrouvait de son corps et de ses vêtements, dans la brousse, ce que les loups n’avaient pu dévorer. Ayant perdu son orientation (il n’y avait pas de chemin à perdre), il avait dû errer dans les terrains marécageux avant de tomber d’épuisement. L’administration provinciale fournit l’argent nécessaire pour ramener ses restes et leur donner une sépulture chrétienne. Plus tard, Robert de la Tremblay épousa la veuve Dupuich.
Dans le cimetière de Sainte-Rose, on peut voir une tombe minuscule surmontée d’une petite croix portant un nom, « Di Marco ». Seuls quelques témoins des premiers temps se rappellent qu’il s’agit du petit-fils du malheureux Dupuich, mort durant un séjour de la mère et de son enfant dans la famille.
Il y eut aussi le drame d’Albert Lion, garçon belge de 14 ans et d’une jeune fille de 20 ans, surpris par la tempête et un vent glacial alors qu’ils se rendaient aux provisions. Les bœufs, épuisés de fatigue, avaient dû être dételés et regagnèrent l’étable. Après avoir marché toute la nuit, encouragé par sa compagne qui le suppliait de ne pas s’arrêter pour ne pas succomber au froid, Albert, qui avait les pieds gelés, se laissa choir à l’abri d’une meule de foin, pendant que l’autre employait ses dernières forces à atteindre une demeure aperçue à l’horizon. Lorsque le secours vint, le corps du garçon était gelé à mort. Grâce aux soins d’Ernest Béasse, la jeune fille eut la vie sauve ; mais il fallut la transporter d’urgence à l’hôpital de Saint-Boniface, où on lui amputa les deux pieds.
Ernest Béasse, fils d’un gros fabricant bonnetier, avait dû abandonner son cours de médecine pour prendre la direction de l’usine paternelle, mais sans renoncer complètement à des études qui lui étaient chères. C’est ainsi qu’il fut en mesure de rendre de grands services à la population, en attendant l’arrivée du premier médecin.
Pour atteindre Sainte-Rose, que ne desservait aucune route régulière, il fallait franchir des passages extrêmement dangereux. Plus d’un voyageur faillit disparaître dans des fondrières avec attelage, chariot et bagages. Il y avait en particulier le « pont branlant » — qui consistait en deux gros troncs d’arbres jetés en travers d’une « coulée » ou ruisseau, avec des perches formant le tablier. Comme on n’en avait pas aménagé les approches, on s’y embourbait à chaque fois par temps humide. Un jour, ce fut Joseph de la Salmonière qui s’y trouva pris. En se débattant dans la vase du ruisseau pour sauver ses bêtes et ses marchandises, il perdit sa montre en or qui demeura introuvable. Avant de s’éloigner du théâtre de la catastrophe, la victime traduisit sa mauvaise humeur par cette exclamation spontanée : « Sale pont du diable, va !… » Le nom est reste à ce lieu historique.
Une autre fois, ce fut Charles Jacob qui, à la tête d’une caravane de charrettes, traversait une coulée à l’endroit jugé le plus guéable, lorsque ses superbes bœufs se mirent à nager… Le conducteur, à la dérive dans son véhicule emporté par le courant, était devenu soudain le pilote d’une périlleuse embarcation en grand risque de chavirer. Par bonheur, ses compagnons purent le secourir à temps.
Dures privations des premiers venus
Après deux années de séjour à Sainte-Rose, Joseph de la Salmonière passa en France et contracta mariage avec Christine de Caqueray, petite-fille de la marquise de Vialart de Moligny et fille de la vicomtesse de Caqueray-Valolive. La jeune épousée suivit bravement son mari au Manitoba, où résidaient déjà ses deux frères : Félix à Fannystelle et Charles à Sainte-Rose. Tous deux avaient d’ailleurs traversé l’océan pour assister au mariage de leur sœur. Cependant, le séjour de ces colons de l’aristocratie fut de courte durée.
C’est dans le même temps que le vicomte Jacques d’Aubigny d’Assy quitta sa Normandie pour le nouvel établissement du lac Dauphin. L’année précédente, venu en visiteur chez Joseph de la Salmonière, son ancien condisciple du Collège des Jésuites à Vannes, il y avait retenu une terre. Tout de suite, il fit don à la paroisse d’une belle cloche de 500 livres. Deux jours après son baptême, elle sonnait joyeusement son premier mariage, celui d’Emmanuel Béasse avec Zénaïde Abraham, nièce d’Edmond Didion.
Tous les témoignages remontant à cette période des débuts sont unanimes à parler d’af-