— APPENDICES —
Appendice A
Deux ans après que Mgr Langevin fut sollicité de construire une église sous le vocable de Notre-Dame-de-Toutes-Aides, alors qu’il n’avait pu encore, faute de personnel, répondre au vœu de la bienfaitrice nantaise, le P. Lecoq, curé de Sainte-Rose-du-Lac, de passage à Paris, entrait en relations avec l’abbé Auguste Janichewski, préfet de discipline au Collège de Vaugirard. Au contact du missionnaire. le professeur sentit naître une irrésistible vocation pour l’apostolat dans l’Ouest canadien. Son plan fut tout de suite bien arrêté : il irait là-bas fonder une paroisse qu’il dédierait à Notre-Dame-des-Aydes, lieu de pèlerinage populaire à Blois. L’évêque de cette ville, au diocèse duquel il appartenait, l’autorisa à partir et bénit son pieux projet. Il fut convenu avec le chef ecclésiastique que la nouvelle paroisse porterait le nom de Notre-Dame-des-Aydes. Le prêtre emmenait avec lui sa sœur. Un jeune homme dont il avait été le précepteur, Émile Heyser, fils de Lorrain, qui l’avait suivi de Vendôme (Loir-et-Cher) à Vaugirard, trouva naturel de l’accompagner au Canada.
L’archevêque de Saint-Boniface accueillit le nouveau venu comme un envoyé du ciel, même s’il lui paraissait un peu frêle pour la besogne qui l’attendait. Tout s’arrangeait à merveille : Nantes, qui gardait son droit de préséance, allait fournir le nom : Notre-Dame-de-Toutes-Aides : Blois aurait l’honneur d’offrir le curé.
Rendu à Sainte-Rose, l’abbé n’entendait pas rester inactif et avait hâte de s’installer chez lui. Aussi accepta-t-il du comte de la Fonchais l’offre d’un logis temporaire : une vieille maison en billots avoisinant son ranch à East Bay, au nord du lac Dauphin. Les trois nouveaux Canadiens vécurent plusieurs mois dans cette peu confortable demeure, restaurée tant bien que mal, qui avait été celle d’un éleveur d’animaux. Le dimanche, dans l’une des deux pièces du rez-de-chaussée tenant lieu de chapelle, le prêtre célébrait la messe pour un petit nombre de personnes des environs : la famille Louis Fouchard, du ranch de la Ru du Can ; la famille Augustin Pineau, de celui de la Fonchais ; la famille Coste, qui avait son propre ranch ; plusieurs autres du voisinage et des hommes travaillant aux foins.
L’hiver fit son apparition avec une soudaineté et une violence inaccoutumées. Le 15 octobre, une tempête de neige se déchaînait qui dura trois jours et trois nuits. La maison-chapelle improvisée de East Bay fut littéralement ensevelie sous un épais linceul blanc, coupée de toute communication avec l’extérieur pendant une semaine. Il ne vint plus que deux familles à la messe du dimanche et les trois solitaires finirent par se replier sur Sainte-Rose.
Après Pâques seulement, ils allèrent camper chez les Bretécher, sur le lac Manitoba. Bientôt, une autre maison-chapelle — toute neuve celle-là — en billots d’épinettes rouges, était debout, rayonnant de toute sa splendeur rustique, et le curé installé dans ses meubles. Mais celui-ci ne tarda pas à se rendre compte que malgré ses efforts, il s’adaptait mal à sa vie nouvelle. Ce n’est pas ainsi que la voyait, à Paris et à Blois, son imagination de citadin. S’était-il donc fourvoyé en cédant trop vite à un mouvement d’enthousiasme irréfléchi ?… Le petit groupe qui composait sa paroisse naissante était de premier choix, un peu simple sans doute pour un intellectuel raffiné, mais surtout trop clairsemé et incapable d’occuper un homme aussi actif. Il avait bien un homestead qui eût pu servir à combler le vide de longues journées, mais ses goûts et ses aptitudes physiques ne l’inclinaient pas de ce côté. On eût dit que cette splendide nature apaisante des bords du lac le désorientait, qu’il se prenait à regretter le vacarme et les fredaines de ses collégiens turbulents.
Après vingt mois passés à East Bay, à Sainte-Rose et à Toutes-Aides, l’abbé Janichewski dut reconnaître que la vocation de curé-missionnaire lui ferait toujours défaut. Il décida de rentrer en France. Son jeune compagnon, tout au contraire, de santé délicate et à qui l’on avait recommandé la vie au grand air, s’était rendu compte que le climat manitobain lui convenait parfaitement. Émile Heyser a donc vécu depuis cinquante ans à Winnipeg et à Saint-Boniface, d’abord comptable, puis au service de la province, plus tard fonctionnaire fédéral à l’impôt sur le revenu. Il a épousé la fille de Mme Jacques Salignat, une Lyonnaise, et ses trois fils, dont deux ont fait la dernière guerre dans l’armée canadienne, sont aussi pères de famille.
Quant à l’abbé Janichewski, revenu dans son diocèse de Blois, il fut curé d’Authon et mourut curé doyen de Marchenoir, il y a une trentaine d’années.