Jean Caux, arrivé au pays en 1858 ou 59, fut l’un des premiers et l’un des derniers « packeteurs ». C’était un homme de haute taille, aux larges épaules carrées, avec de longs bras de fer et de fortes mains musclées : le vrai physique de son emploi, avec une certaine noblesse dans le port de la tête et les traits du visage. Jusqu’à un âge avancé, il arbora une chevelure abondante et éblouissante, d’un noir admirable. Lorsqu’on lui en faisait compliment, il riait sous cape en murmurant : « C’est le rhum !… » Bien sûr. « Cataline » était un amateur de rhum, qu’il buvait sec ; mais il en réservait une partie pour l’usage externe. Chaque fois qu’il s’offrait un verre de la fameuse liqueur, enlevant son immense chapeau de toréador, il s’en versait la moitié dans le creux de la main et se frictionnait vigoureusement la tête, accompagnant ce geste familier de la formule rituelle : « Bon !… ça fait pousser les cheveux… »
Pendant les mois d’été et d’automne, le pack-trains de Jean Caux circulait inlassablement entre Yale, Ashcroft, Quesnel et Hazelton. Il baptisa lui-même du nom de Basque le village au sud d’Ashcroft, lieu de halte prolongée. La neige en hiver, la glace et la boue au début du printemps rendaient les chemins impraticables. Il avait grande allure, le chef de caravane, à cheval un peu en avant de la vieille jument blanche traditionnelle au pied sûr qui, la cloche au cou, réglait la marche des autres bêtes. Sa mise était presque celle d’un dandy : redingote tombant aux genoux, salopette bleue aux jambes rentrées dans les bottes, chemise à plastron et foulard écarlate, chapeau noir à larges bords. Il mettait une chemise empesée au départ d’une expédition et la gardait jusqu’à son retour, peut-être deux ou trois mois plus tard.
On considérait les mulets comme les meilleurs animaux pour le pack-trains. Chacun portait une charge de deux à trois cents livres et l’on ne faisait jamais plus de quinze milles par jour. L’équipage comprenait : un cuisinier, un cargadore (chef) et un homme par groupe de huit bêtes. Caux employait des Indiens, des Blancs et des Chinois, mais il tenait ces derniers pour les plus sobres, les plus réguliers et les plus consciencieux à l’ouvrage. En fait d’objets à transporter, rien n’était à l’épreuve de son équipe choisie. Fenêtres et portes de verre, denrées d’épicerie, outillage de mineur, jusqu’à un piano, tout arrivait intact à destination. Ce maître d’une grande entreprise ne savait ni lire ni écrire. Au prix d’un laborieux effort, il parvenait à signer son nom. Mais cela ne nuisait en rien à la bonne marche de ses affaires. Il portait dans sa tête les factures de tous ses clients, les gages de ses hommes et leurs dépenses sur la route. Il n’oublia jamais un seul article confié à ses soins.
C’est en 1912 seulement, après l’arrivée du chemin de fer dans le Nord, que le légendaire « packeteur » prit sa retraite, à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Il se retira à Hazelton, point terminus de l’immense réseau de routes que son pack-trains avait desservi pendant plus d’un demi-siècle. Jean Caux mourut dix ans plus tard au même endroit. Ses restes reposent dans le vieux cimetière de ce village indien typique, en compagnie d’autres pionniers comme lui, des amis de longue date.
Coup d’œil sur les missions indiennes
Hazelton marque l’extrémité septentrionale du territoire des grandes familles des Dénés, des Babines et des Porteurs. Le P. Adrien Morice, à la suite du P. Jean-Marie Lejacq, un Breton du diocèse de Quimper, fut vingt années durant le missionnaire de ces tribus. Outre le lac Morice, la rivière Morice et Moricetown, on trouve aussi dans ce vaste secteur les lacs Babine, Trembleur, François, Sainte-Marie, Émeraude, Tremblay, ainsi que le Rocher-Déboulé, dont le nom évoque toute l’histoire. Le P. Morice mit au point, pour la langue dénée, un système d’écriture syllabique inventé pour le cris par le pasteur méthodiste James Evans. Peu après, le P. Le Jeune, à son tour, adaptait la sténographie Duployé à la transcription du chinouk. Le jargon chinouk, à base de mots aborigènes empruntés à la langue des Indiens Chinouks, auxquels s’ajoutent des termes français et anglais mal prononcés, est le moyen presque universel de communication entre Blancs et Indiens, comme entre les diverses tribus de la côte du Pacifique. Les deux missionnaires, ayant fait fondre des caractères spéciaux, purent imprimer, sur des presses rudimentaires, des brochures et des périodiques mensuels.
Le P. Jean-Marie-Raphaël Le Jeune, né à Pleyber-Christ (Finistère), passa presque toute sa vie à évangéliser les Indiens des grands plateaux au nord de Kamloops, s’assimilant plusieurs idiomes indigènes. Son zèle apostolique ardent ne l’empêchait pas d’être tolérant pour les autres croyances. Un jour, il arriva dans un centre minier en même temps qu’un ministre anglican aussi populaire qu’il l’était lui-même. Comme on ne pouvait demander aux mineurs d’entendre deux sermons, il fut convenu de tenir une seule réunion, sans caractère confessionnel précis, et de se diviser la besogne. Le P. Le Jeune prononça l’allocution, son collègue dirigea le chant et tous deux se partagèrent le produit de la collecte.
Plus au Nord, à l’entrée de la vaste région des montagnes Caribou, Williams Lake est aussi un poste de mission très ancien auquel se rattachent plusieurs noms d’Oblats. À la mission Saint-Joseph, Mgr Durieu installait en 1896 quatre sœurs de l’Instruction de l’Enfant-Jésus, qu’il avait fait venir de son propre diocèse du Puy (Haute-Loire) pour remplacer les Sœurs de Sainte-Anne. C’était la première communauté française de femmes à émigrer directement en Colombie-Britannique. Elle possède maintenant dans l’Ouest une douzaine d’établissements, dont trois en Saskatchewan.
Un an plus tard, jour pour jour, après l’arrivée de ces religieuses à Williams Lake, le P. François-Marie Thomas — encore un