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s’y fixer. Au printemps 1915, Saint-Front compte de cinquante à soixante Français, dont une dizaine sous les drapeaux. Toute sa population — française, canadienne-française et belge — est exclusivement francophone, Allemands, Anglais et autres se trouvant établis un peu plus loin. Ce coin de l’Ouest inconnu et isolé jouit d’une oreille sympathique à Ottawa. Lorsqu’il fait la demande d’un bureau de poste, il en obtient deux : l’un à Saint-Front et l’autre à Périgord. En 1917, six nouvelles terres sont prises par des Canadiens français de la province de Québec. Les voies d’accès ne se sont pas améliorées. Selon l’expression de ces braves gens, pour franchir certains passages difficiles, « on ne voyait plus que les oreilles des chevaux ». Plusieurs rebroussent chemin. En général les Français — Auvergnats, Bretons, Savoyards — tiennent bon.

Mme Florian Montès, décédée en 1919, partira trop tôt pour voir aboutir ces longs efforts méritoires. L’année suivante, Saint-Front aura pourtant son école, dont le premier instituteur sera Alphonse Picton, fils de Maurice, un embryon de village, avec un groupement total de quarante-sept familles, plus quelques célibataires. Puis il aura une église convenable et sera érigé en paroisse.

En 1943, Saint-Front perdait un octogénaire dont les déplacements et les recommencements marquaient une vie qui fut le lot de plusieurs. Alexandre Prévost, né près de Parthenay (Deux-Sèvres), était venu dans l’Ouest avec sa famille en 1894. Il demeura seize ans à Notre-Dame-de-Lourdes, quatre ans à Haywood et vingt-neuf ans à Saint-Front. Quant à Joseph Basset — celui qu’on appelait déjà le « vieux Basset » au début de la colonie, quarante-cinq ans plus tôt — il mourut en 1956, dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année. Lui aussi avait connu, dans sa lutte pour la vie, plusieurs champs d’action. Né à Corveissiat (Ain) et venu au Canada en 1893, cet infatigable travailleur avait défriché le sol à Notre-Dame-de-Lourdes, à Saint-Claude, à Dana, avant de se fixer définitivement à Saint-Front. Ses nombreux descendants n’ont pas quitté la région.

En remontant plus au nord, dans le district tributaire de la voie ferrée reliant Winnipeg à Prince-Albert, on relève sur la carte les noms de Star City, Tisdale, Zénon-Park, Arborfield, Carrot-River, Pré-Sainte-Marie, Clemenceau, Veillardville. L’abbé Émile Dubois et un prêtre suisse, l’abbé Pierre-Joseph Nicolet, furent les premiers desservants de cette région. Les Français y représentent surtout des rameaux détachés de groupements plus anciens de l’Ouest. On y trouve des Bretons, comme les familles Riou, dont le chef est mort octogénaire ; Jean Bothorel et Joseph Mercier, venues du Finistère via Saint-Laurent du Manitoba ; des méridionaux comme les Relland, des Basses-Alpes, dont l’ancêtre s’était d’abord fixé à Duck-Lake. Veillardville doit son nom à un ancien colon de Saint-Claude, Louis Veillard, qui, au retour de la première Grande Guerre, vint s’installer là. Toute cette région est maintenant desservie par les Pères de Tinchebray.


Prince-Albert et les environs

À quelques milles au nord de Prince-Albert, White Star peut se rattacher à Saint-Brieux en ce sens que le premier noyau en fut formé du même contingent d’émigrants partis de Bretagne en 1904. Il porta d’abord le nom d’Edwardfield et le mérite de la fondation en revient au Frère Édouard Courbis, O.M.I., un Aveyronnais, alors directeur de l’orphelinat catholique de Prince-Albert. Parmi les premiers à s’y établir, citons : Paul Legodin, Ernest Clavier, Jean et Henri Delhommeau, Jean et Joseph Guédo, Henri Barque, Gabriel Leroux, Laurent Lemoal, Victor Colvez, Jean Macé, Georges Lempereur, presque tous des Bretons. Le premier prêtre à desservir la chapelle de l’endroit fut cet abbé Noël Perquis, que nous avons vu présider aux débuts de la jeune paroisse plus renommée de Fannystelle. Le chemin de fer arriva à White Star en 1917.

Plus au nord, on trouve encore : Jean-Baptiste Albert, qui s’était acquis une réputation de maître boxeur : Adolphe Soulié et Alfred Costeraste, du Lot : Alphonse et Joseph Frémont, de la Loire-Atlantique : Bompais, de Bretagne, et Gagné, de Normandie.

À Prince-Albert même, Bénard représenta la maison de fourrures Révillon frères et fit de longues excursions dans le Grand Nord. Stéphane Jaspar, né à Lille, après un séjour à Red Deer (Alberta), fut longtemps à la tête d’une importante épicerie que dirige maintenant son fils, Michel. Il est décédé en 1957 : sa femme, née Alice Mangin, l’année suivante, laissant quatre fils et deux filles.

Nombre de Français sont établis dans la région qu’il serait difficile d’énumérer. Notons en passant que la famille Gauthier, de Merléac, en Bretagne, se fixait au début du siècle à Marcelin. Cinquante-cinq années plus tard, le fils Auguste réalisait avec sa femme le désir toujours gardé de revoir son pays natal, quitté à l’âge de neuf ans. Le couple est aujourd’hui retiré à Prince-Albert.

Le lieutenant-colonel R.-C.-J. de Satge, né à Dinan, émigra dans l’Ouest peu avant 1914. Il quitta sa ferme de Rich Valley, près de Shellbrook, pour servir dans l’armée canadienne, lors des deux Grandes Guerres. Durant les premières années de la seconde, il commanda le bataillon des Prince Albert Volunteers. À la fin des hostilités, revenu au pays, l’officier se retira en Colombie-Britannique où il décédait en 1957.


Dans le nord-ouest de la Saskatchewan


Dans la partie nord-ouest de la Saskatchewan, ce sont aussi de petits groupes de Français d’origine mêlés à d’autres francophones. Et les prêtres venus de France ne manquent pas là non plus. Le même abbé Dubois que nous venons de voir à Arborfield a construit église et presbytère à Rosetown. Après lui, l’abbé