Page:Frémont - Les Français dans l'Ouest canadien, 1959.djvu/13

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de célébrité au titre de premier hôtelier de Winnipeg. Devenu veuf, Victor Mager convola en secondes noces avec une fille de Célestin Thomas. Lorsqu’il mourut en 1930, ce doyen des Français vivait à Saint-Boniface depuis soixante et onze ans. Jusqu’à la fin il pilota son auto avec la même aisance que la charrette à bœufs du temps de sa jeunesse. L’une de ses petites-filles, Priscilla Guilbault, épousa J.-C. Davis, ingénieur électricien, qui fut sénateur du Manitoba.


Le « Colonel » Gay

Les années qui précédèrent l’entrée de la Rivière-Rouge dans la Confédération canadienne furent assez calmes, en dépit d’une certaine fermentation politique alimentée surtout de l’extérieur ; mais cet événement allait entraîner des troubles graves aux lointaines répercussions. Sans attendre la création officielle de la nouvelle province, une avant-garde d’Ontariens voulut s’y conduire comme en pays conquis. Des arpenteurs introduisaient un système de division des terres qui ignorait la disposition traditionnelle en « lots de rivière » et morcelait les modestes propriétés des habitants. C’est ce qui provoqua l’insurrection.

Trois Oblats venus de France résidaient alors à Saint-Boniface : les PP. Jean-Marie-Joseph Lestanc, de Saint-Pierre-Quilbignon (Finistère), Augustin Maisonneuve et Jean Tissot, tous au pays depuis fort longtemps. Le premier, administrateur du diocèse en l’absence de Mgr Taché, fut l’objet d’attaques de la part des adversaires de Riel, qui lui reprochèrent une prétendue ingérence dans le mouvement de résistance. Ces accusations, dénuées de fondement, ne trouvent plus guère crédit de nos jours.

Deux Français du type aventurier jouèrent des rôles accessoires lors de ces événements historiques.

Le capitaine Gay était un Niçois qui avait servi dans l’armée du Second Empire. Le goût de l’aventure, après l’avoir entraîné dans les troupes de Garibaldi, l’avait conduit jusqu’à la Rivière-Rouge, où il fit brusquement son apparition en janvier 1870. La New Nation, en annonçant son arrivée, le présentait comme un excursionniste qui se proposait de visiter les points intéressants de la région. Arrêté sur les ordres de Riel, il fut relâché peu après. Mais toutes sortes de bruits commencèrent à courir sur le mystérieux personnage. Que venait-il faire à la Rivière-Rouge en pleine période de malaise public ? Les uns le soupçonnaient d’être un espion canadien ; les autres, un émissaire de Mgr Taché. Les moins antipathiques se contentaient de voir en lui un gentleman désœuvré en quête de distractions ou un simple maître d’école à la recherche d’un emploi. Le nouveau venu offrit ses services au chef métis, qui les accepta sans hésiter. Joyeux compagnon, parfait bilingue et toujours disposé à se rendre utile, il devint l’ami intime du secrétaire de Riel, Louis Schmidt. Ensemble ils rédigèrent un long manifeste aux Métis établis à l’ouest de Saint-Boniface.


Le « Docteur » Pillard

Dans le même temps, un autre Français, le « docteur » Pillard, se faisait un renom de grand guérisseur parmi la population. Comme son compatriote, il se trouvait en sympathie parfaite avec les Métis, bien qu’il lui répugnât d’accepter le drapeau blanc fleurdelisé, que le gouvernement provisoire venait d’adopter officiellement. « J’ai traversé la mer pour le fuir, disait-il, et il faut que je le retrouve ici ! »… Cependant, ses succès professionnels ne tardèrent pas à inquiéter les confrères qui voyaient la clientèle leur échapper au profit d’un intrus. Le soupçonnant de ne détenir aucun diplôme, ils obtinrent de Riel l’autorisation de lui faire subir un examen. Pillard comparut donc devant un comité de trois médecins de langue anglaise, qui s’adjoignirent le capitaine Gay comme secrétaire et interprète. Mais à toutes les questions qui lui furent posées, le candidat récalcitrant répondit par des plaisanteries et des injures que le malheureux interprète se gardait bien de traduire fidèlement. Lorsque, joignant les gestes aux paroles, le faux docteur menaça de jeter les enquêteurs par la fenêtre, ceux-ci comprirent sans le secours de l’interprète et la séance se termina brusquement. Pillard se remit à pratiquer en toute liberté.

Le capitaine Gay, de son côté, prenait de plus en plus d’ascendant dans le milieu métis, où il se sentait tout à fait à l’aise. Riel, flatté d’avoir à son service un officier de l’armée française, décida de le bombarder colonel. Celui-ci prit alors le commandement effectif de la garnison du fort Garry. Il dirigeait de fréquentes sorties de ses hommes pour des exercices de cavalerie et d’artillerie. Un témoin oculaire, Alexander Begg, assure que ces exercices étaient d’un caractère primitif et une pure parodie d’instruction militaire. Lorsque les Américains redoublèrent d’instances auprès des Métis pour leur faire secouer l’allégeance britannique, des bruits coururent de nouveau, parmi les gens de langue anglaise, sur la présence suspecte de ce singulier Français. Ne serait-il pas un agent secret des États-Unis, ou même des Fénians ?…

Dès que la nouvelle de la déclaration de guerre entre la France et l’Allemagne parvint à la Rivière-Rouge, Gay fit de brefs adieux à ses camarades et se hâta vers un port d’embarquement. Il arriva dans sa patrie trop tard pour se battre. Quelques mois après, il écrivait de Tours à son ami, Louis Schmidt, pour l’informer de la triste paix conclue. Son grade de colonel, qu’il devait à la générosité de Riel, avait été confirmé par les autorités militaires de son pays, affirmait-il !… Le gouvernement provisoire de la République française et le gouvernement provisoire de la Rivière-Rouge se devaient cet échange de bons procédés. Il ne fit qu’accroître le mouvement naturel de sympathie des Métis envers la France malheureuse.

Un autre aventurier de même origine se rattache à la période agitée qui suivit l’entrée du Manitoba dans la Confédération. Le premier chef de la police provinciale, cantonnée