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Chapitre XX


Un curé d’Auvergne à l’œuvre — Quatre mois dans la neige — Long voyage d’exploration — Notre-Dame-d’Auvergne — L’arrivée du rail et la naissance de Ponteix — Mort subite de l’abbé Royer — Gravelbourg, Meyronne et Laflèche — Un futur universitaire à Dollard — Willow-Bunch et Frenchville — Swift-Current et son premier curé — Une nuit dans le « gumbo »


Un curé d’Auvergne à l’œuvre

Dans la partie sud-ouest de la Saskatchewan, un émule de l’abbé Gaire allait accomplir une œuvre remarquable de colonisation en fondant le centre important de Ponteix. L’abbé Marie-Albert Royer, né à Combronde (Puy-de-Dôme), avait largement doublé le cap de la quarantaine au moment de son départ pour le Canada, en 1906. Ce qui ne l’empêchait pas d’être encore d’humeur voyageuse et entreprenante. Depuis seize ans curé d’une modeste paroisse du nom de Ponteix, il occupait ses loisirs à écrire et avait connu un certain succès à La Croix d’Auvergne avec un feuilleton d’intérêt local. La reconstruction de son église, d’un rare goût artistique, l’avait aussi absorbé pendant quelque temps. Ses penchants exotiques l’avaient conduit par deux fois en Afrique du Nord, où il avait atteint les premières oasis du Sahara. Une idée était fortement ancrée dans l’esprit du curé de Ponteix : fonder une paroisse dédiée à la Vierge. Il avait déjà fait choix, en Algérie, d’un site répondant à peu près à son idéal, lorsqu’il tomba par hasard sur un article de l’abbé Gaire. L’Afrique fut immédiatement délaissée pour le Canada. Ce prêtre auvergnat allait se révéler, dans la poursuite de son projet, un réalisateur dans toute la force du terme.

Au printemps de 1906, l’abbé Royer arrive à Saint-Boniface. Avec Léon Roy, du service de l’immigration à Winnipeg, et un compatriote, Benjamin Brousse, il traverse le sud de la Saskatchewan et explore une partie de l’Alberta sans rien trouver tout à fait à sa convenance. On lui conseille finalement les bords de la Vieille, rivière qui se jette dans le lac du même nom, tout près du Gravelbourg actuel, et où il y aurait place, dit-on, pour plusieurs paroisses.

Une curieuse légende explique cette étrange appellation. Une très vieille sorcière, épouse d’un grand chef, qui avait sa tombe sur une île du lac, continuait de prophétiser, quoique défunte. À la veille de déterrer la hache de guerre ou de partir pour une expédition de chasse, les Indiens y venaient implorer aide et conseil, comme de son vivant. Si la voix de la sorcière gémissait, c’était signe qu’il fallait éviter toute rencontre avec l’ennemi. Si, au contraire, elle fredonnait un hymne guerrier, on pouvait y aller à coup sûr, la victoire était certaine ou le gibier abondant. C’est ainsi que le lac et la rivière avaient pris le nom de la Vieille, en souvenir de la sorcière bienfaisante. Hélas ! le lac s’appelle aujourd’hui Johnstone et la rivière, Wood ! Et voilà du même coup rejetés dans l’oubli un nom et une légende pittoresques.


Quatre mois dans la neige

Des Canadiens français avaient déjà choisi des lots à cet endroit et les premiers compagnons de l’abbé Royer en firent autant. Le futur curé passa avec eux l’hiver très rigoureux de 1906-1907. Il fut ainsi, dans cette région, le premier prêtre à vivre de la vie des colons et à partager leurs épreuves. Selon sa propre expression, il trouva dur de rester « quatre mois dans la neige ».

« Cet hiver, écrit-il, nous avons continué de nous réunir, les dimanches, dans une maison neuve ; un de mes Français chantait la messe avec deux Canadiens. Il y a eu communion à Noël. J’ai lu l’Évangile et prêché tous les dimanches. Ces braves gens étaient très attentifs et avaient l’air bien contents. Sans calendrier, sans ordo dans la place, nous avons dû calculer un instant pour trouver quand serait le dimanche de Pâques, et puis le mercredi des cendres. On a bien examiné la lune et l’on est arrivé juste. Une famille s’est trompée, un certain jour, et est arrivée en grande tenue un samedi qu’elle croyait un dimanche. Nous avons eu un moment d’inquiétude, mes Français et moi, nous trouvant surpris par l’hiver sans provisions et sans bois ; mais j’ai la chance d’avoir avec moi de bons et courageux jeunes gens. Ils sont allés sortir du bois de la neige et du gibier des creeks. Je les ai vus revenir, parfois, avec un porc-épic, trois ou quatre jack-rabbits, des lapins, des poules : de quoi nourrir une paroisse ! »


Long voyage d’exploration

Le projet initial des autorités ecclésiastiques de Saint-Boniface avait été de fonder, sur la Vieille, deux paroisses distancées d’une dizaine de milles, dont l’une serait confiée au missionnaire français et l’autre à l’abbé Louis-Pierre Gravel, prêtre canadien-français venu