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grande caisse carrée, en tôle. Il l’emplit de pâte et l’entoure de varech, — son seul combustible. Le pain cuit à l’étouffée, sous la cendre.

— Du pain, monsieur, comme on n’en mange pas à terre.

— Et vous n’y retournerez jamais, maître Philippe ?

— Jamais, monsieur. Qu’irais-je y faire ? Voilà bientôt quarante ans que je suis ici ; j’y mourrai.

— Vous êtes solide ; mais l’âge vient ; maintenant que vous voilà seul — si vous tombiez malade ?

— Quand je suis malade, je me couche — comme les bêtes — et j’attends. (Ici le docteur Demay le regarda de travers.) Du reste, ajouta-t-il, les parents et les amis n’y font rien. On meurt seul.

C’est un mot de Pascal.

Tout en causant, il nous avait reconduits jusqu’aux grandes mauves sauvages qui forment la limite de son domaine. Là, nous lui serrons la main : Allons ! adieu, maître Philippe. Il resta quelques instants debout, auprès de sa vieille barque renversée, à nous suivre des yeux, puis chargeant son matelas et sa couverture sur son épaule, le roi des Écrehou rentra dans sa tanière.

— Et maintenant, si nous allions nous coucher ? dit le prudent Rachine ; le vent peut fraîchir au petit jour, et puisque nous devons aller à Jersey, nous pourrions partir à la marée du matin.

La perspective d’aller me fourrer, pour y dormir, dans l’une de ces deux alcôves que j’avais entrevues à la Marmottière, manquant pour moi absolument d’attrait, je laissai mes amis s’éloigner en leur disant que je ne tarderais pas à les rejoindre et de me garder la place fraîche.