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— Faites excuse, Messieurs, j’étais couché, je dormais.

Le roi des Écrehou nous reçoit en effet dans une tenue absolument sommaire. Pour tout vêtement, une chemise de laine noire qui lui tombe quelque peu au-dessus des genoux ; jambes et pieds nus. C’est un homme d’une soixantaine d’années, petit, nerveux, solide, le visage tanné, velu, la tête coiffée d’une crinière noire et rude, à peine rayée de quelques fils blancs. Ses yeux, qui ne gardent aucune trace de sommeil, luisent, grands ouverts, comme ceux des fauves et des oiseaux de proie.

Sans autrement s’étonner de notre visite, c’est avec beaucoup de politesse et surtout de simplicité qu’il nous fait accueil. Il s’exprime en jersiais, qui est la vieille langue normande. Du reste, point curieux et nullement questionneur. Nous n’aurions que des nouvelles de la terre à lui donner, et il y a longtemps qu’il est brouillé avec elle. Il en a toutefois gardé le goût du cognac. Pour être un solitaire, on, n’en a pas moins ses faiblesses. Pendant que Rachine débouche le flacon et remplit les verres, j’examine ce nouvel intérieur qui n’est guère plus vaste que le vide-bouteilles de la Marmottière. Une aire sablonneuse, des murs de granit brut, pour plafond la toiture. Point de portraits et point d’images. Une cheminée, un fourneau de fonte avec quelques ustensiles de cuisine, deux escabeaux, une table de chêne où près d’une croûte de pain, traîne un morceau de poisson fumé.

À droite de l’unique fenêtre, ouverte comme la porte au soleil couchant, et posés sur deux rayons, quelques ouvrages de liturgie, plus trois Bibles, dont une énorme, avec explications et commentaires. Maître Philippe est très fier de cette Bible :