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d’Alonne avec leur double église, la masse de Romont, Barneville avec sa tour carrée, les clochers et les moulins-à-vent de Saint-Jean, de Saint-Georges, de Portbail, les landes, les taillis, les bruyères, les croupes sauvages des collines lointaines de Sortosville s’effacèrent, disparurent dans les brouillards. Partout la mer, une mer unie et déserte. Le silence planait sur sa face bleue. Un cercle de brumes légères cernait l’horizon relativement très rapproché. À mesure que nous avancions le vent fraîchissait. Vers les sept heures nous distinguions nettement les Écrehou. Ils apparaissaient dans l’ouest sur le fond rouge du couchant, comme une cité monstrueuse, cyclopéenne.

Rachine, la main à la barre et l’œil sur la Pierre-aux-Femmes — un des formidables bastions qui semblent garder cette ville de la mer — gouverna de façon à prendre la Bigorne par les Deux-Mamelons, puis s’engageant hardiment dans un défilé d’écueils, laissa porter sur la Marmottière, où nous jetâmes l’ancre. Nous étions au cœur des Écrehou.

Pas de temps à perdre. La nuit tombait. La mer baissait rapidement. Nous embarquons dans le canot nos provisions : les vivres, le vin, l’eau, le bois, car il faut tout apporter aux Écrehou, et poussant de l’aviron, d’un coup de galle nous accostons le rocher.

Sur la crête se profilait une maisonnette. Foubert en avait la clef dans sa poche. Nous le suivons, chargés comme des ânes, par une ébauche de sentier taillé dans la roche vive. Il pousse la porte. Un intérieur de quatre mètres carrés : à gauche une lucarne, dans le fond deux alcôves superposées ; un banc, une table où traînent des assiettes, des boîtes de conserves éventrées et, contre les murs, dans les coins, des vareuses, des surois ac-