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chargé de vivres, sans pouvoir démarrer. Vent debout et une mer démontée.

« C’hest biau temps, » nous cria le capitaine Perchard — en passant sous notre nez et en doublant la Caillourie. Mais le vieux loup de mer avait les planches d’un bon cotre sous les pieds et il filait droit sur Jersey.

Cette fois-ci, ç’a été la bonne. Encore ne fallait-il pas crier trop haut le matin. Non pas que la mer fut mauvaise. C’était tout le contraire. Le jeudi 7 août de la présente année et jour saint Gaétan, la Manche n’avait pas une ride, non plus que le ciel un souffle. Tous les fronts ruisselaient. Une chaleur de four. Calme plat sur toute la ligne, si bien que nous nous demandions encore, passé midi, si nous pourrions partir à la marée du soir. Il s’éleva toutefois vers les quatre heures une petite brise de terre suffisante pour tendre la voile. Notre bateau était à l’ancre, au bout de la jetée, à l’entrée du chenal de Carteret. Un joli yacht non ponté, peint en jaune avec filet noir, d’une coupe élégante et portant bien la toile. J’ai oublié son nom ; qu’il me le pardonne — comme les jolies filles d’autrefois dont j’ai du moins gardé l’image. Et à Dieu vat !

Quatre à bord : patron Léonce Rachine ; propriétaire-armateur Foubert, major-docteur Demay, plus votre serviteur. Pour le reste, tous bas-normands et bons camarades.

Vent arrière, si faible qu’il fût et portés par le reflux d’une marée de pleine lune, nous eûmes vite gagné le large. De la pointe blanche d’Agon aux falaises roses de Flamanville, la côte qui se déployait derrière nous comme une écharpe, perdit peu à peu de sa vigueur, de sa coloration et bientôt le cap de Carteret avec son phare, les Moitiers-