Page:Frédérix - Trente ans de critique, t1, 1900.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tenons à recommander ces livres belges aux lecteurs belges. Il est bon de se mettre à plusieurs pour ces sortes de recommandations. Notre public de lecteurs a besoin d’être renseigné, et même harcelé. Il ne sait pas assez que son attention doit être accordée à tous les essais de nos jeunes écrivains, à ceux du moins où se révèle une plume, et quand même cette plume ne serait encore capable que d’imitation et de manière.

Tout en demandant cette attention qui leur est due, nos jeunes auteurs feront bien de se l’assurer par des ouvrages qui ne soient pas trop impénétrables et par des déclarations qui ne soient pas trop hautaines. On peut quelquefois se faire admirer sans se faire comprendre. Mais il ne s’agit pas seulement d’être admiré par quelques-uns ; il s’agit d’être lu par ceux-ci d’abord, et par les autres ensuite. Et notre temps est pressé ; on ne lit plus guère les articles et les livres où il faut faire effort pour dégager la plus simple idée et le fait le plus vulgaire des guirlandes, violences ou mièvreries qui les recouvrent.

Que voulez-vous ? Le courant est au naturel, qui n’est pas toujours le naturalisme. Il y a beaux jours qu’un maître écrivain, un de ceux qui maniaient le plus subtilement tous les artifices du style, le reconnaissait : « J’avais une manière, disait-il ; je m’étais fait à écrire dans un certain tour, à caresser et à raffiner ma pensée ; je m’y complaisais. La nécessité, cette grande muse, m’a forcé, en un instant, d’en venir à une expression nette, claire, rapide, de parler à tout le monde et la langue de tout le monde : je l’en remercie. »