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Là, point de rois ventrus ! point de noblesses nées !
Par le mérite seul les têtes couronnées
Vers le progrès divin marchent à pas géants ;
Là, libre comme l’air ou le pied des gazelles,
La fière indépendance étend ses grandes ailes
Au centre des deux océans.

Ô bords hospitaliers, ouvrez-moi votre asile !
Ah ! pour trouver l’oubli de tout ce qui m’exile.
Que ne puis-je aussi boire aux ondes du Léthé !
Oublier !… mais comment oublier la patrie ?
Comment ne pas pleurer notre splendeur flétrie,
Notre avenir au vent jeté ?

Adieu, vallons ombreux, mes campagnes fleuries,
Mes montagnes d’azur et mes blondes prairies.
Mon fleuve harmonieux, mon beau ciel embaumé !
Dans les grandes cités, dans les bois, sur les grèves,
Ton image toujours flottera dans mes rêves,
O mon Canada bien-aimé !

Je n’écouterai plus, dans nos forêts profondes,
Dans nos prés verdoyants et sur nos grandes ondes,
Toutes ces voix sans nom qui font battre le cœur :
Mais je n’entendrai pas non plus, dans ma retraite,
Les accents avinés de la troupe en goguette
Qui se marchande notre honneur.

Et quand je dormirai sous la terre étrangère,
Jamais, je le sens bien, jamais une voix chère
Ne viendra, vers le soir, prier sur mon tombeau ;
Mais je n’aurai pas vu, pour combler la mesure,
Du dernier de nos droits, cette race parjure
S’arracher le dernier lambeau !