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MONTFERRAND

J’ai plus d’une fois entendu dire : « Un tel a battu Montferrand, mais en allant aux informations j’ai toujours appris autre chose. Par exemple M. Jeanvean, qui demeure encore à Montréal, vient de me faire savoir que ni son père, ni son frère, ni lui-même n’ont eu chicane avec Montferrand. Néanmoins, on dit partout qu’ils se sont battus. L’origine de ce conte fut une contestation au sujet d’une paire de rames, que Montferrand préféra payer à Jeanveau, afin de satisfaire les parties intéressées.

* * *

Un maître de boxe nommé O’Rourke tenait un hôtel, rue Saint-Pierre, à Montréal. On le disait de première force dans son art. Il avait battu Reed, fameux pugiliste américain, et depuis lors il portait le titre de champion. Reed amena Montferrand chez O’Rourke et les pria de prendre les gants en sa présence. La table du dîner était dressée pour une cinquantaine de convives. Les combattants se placèrent dans un espace libre et le jeu commença. O’Rourke vit de suite que la tâche dépassait ses moyens ; il s’emporta, jeta les gants et frappa à poings nus. Montferrand méprisait les batailles sans motifs ; il enleva son adversaire à bras tendus et le lança sur la table avec une telle puissance que tout le service fut balayé. O’Rourke se ramassa péniblement de dessous un monceau de faïences brisées et vint, clopin-clopant, faire des excuses à celui qui l’avait si bien roulé. De plus, il paya une ronde aux personnes attirées par le bruit de la lutte.