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PIERRICHE

sent par fatiguer à force d’être joués, à plus forte raison une complainte aussi insipide, aussi fatigante et d’une telle ténacité, devait-elle aboutir à une révolte.

Toutefois Madelon ne mit aucun emportement dans ses reproches :

« Pierriche, dit-elle d’une voix émue, mon bon Pierriche, il y aura demain huit ans que nous sommes mariés, et ce serait mal commencer la neuvième année que de continuer de la sorte. Est-ce cela que tu m’avais promis quand tu as juré devant le bon Dieu et devant M. le curé, d’être toujours bon pour moi ? Est-ce cela que tu me promettais quand j’étais fille et que tu venais me voir, tous les soirs, sur la brune ? Me disais-tu, dans ce temps-là, que les femmes ne sont pas bonnes à grand’chose ? Pourquoi donc m’as-tu prise alors, mon pauvre cher Pierriche ? Te rappelles-tu cette fois que tu m’avais apporté ces beaux souliers français que j’ai encore aujourd’hui ? Alors tu n’étais pas un gros méchant bourru comme maintenant, et tu me disais de ta voix la plus douce : « Ma chère petite Madelinette, tes pieds sont trop jolis, trop délicats pour être renfermés le dimanche dans des souliers de bœufs ; mets ceux-ci pour l’amour de ton Pierriche ; ce seront tes souliers de noces ; et nous ne nous sommes mariés que trois ans et demi après ! Tu le sais bien…

« Oh ! dans ce temps-là tu m’aimais bien plus qu’aujourd’hui. Et cependant ai-je gaspillé ton butin ? N’est-ce pas moi qui ai filé, taillé et cousu ton capot et tes culottes des dimanches ? As-tu jamais acheté dans le fort une verge d’indienne pour les enfants ? N’est-ce pas moi qui ai habillé Pierrot et notre petit Baptiste ?