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PIERRICHE

lui, mouillé jusqu’aux os et éreinté, car dans les endroits les plus mauvais ça ne coûtait pas le moins du monde à ce brave Pierriche de s’atteler à sa lourde charrette et de donner un aussi vigoureux coup de collier qu’aucun de ses bœufs ; — eh bien ! notre héros avait à peine mené ses animaux à l’étable et débarrassé ses épaules humides de son lourd capot d’étoffe du pays, qu’il répondait en grognant, en grommelant à Madelon qui lui faisait d’affectueux reproches sur le peu de soin qu’il prenait de sa santé :

« Oui ! oui ! tu l’as dit ; j’aurais dû laisser ma charge et mes bœufs dans les cahots, hein ! Madelon ?… Apparemment tu aurais été les en retirer, toi ?… Tiens, tiens, ne dis plus rien, ça te va mieux, bien mieux !… Ouaiche ! les femmes !… Si c’est bon à quelque chose, ça n’est pas bon à grand’chose ! Un homme fait dix fois plus de besogne qu’aucune d’elles dans une journée. »

L’hiver, quand les jours sont si courts et les tempêtes de neige parfois si redoutables au loin, Pierriche venait-il à s’attarder à bûcher dans le bois, Madelon comptait les minutes avec inquiétude ; à chaque instant elle allait interroger le chemin, prêtant l’oreille au moindre bruit qui annonçât l’arrivée du retardataire, et si l’époux la surprenait ainsi, au lieu de lui savoir gré de ce témoignage de tendresse, il reprenait de sa voix la plus grognonne :

« Tiens ! Madelon, je gage bien que tu me croyais perdu ?…… Bientôt, pour te faire plaisir, il faudra sans doute que je laisse les arbres se bûcher et les souches s’arracher tout seuls : à moins que tu n’aies l’en-