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PIERRICHE

pour labourer son champ, un goret en bas âge, et enfin, — puisqu’un historien fidèle ne doit omettre aucun détail, — deux oies et un jars, et quelques volailles.

C’était une singulière pâte d’homme que Pierriche. Quelqu’un qui ne l’aurait pas vu à son foyer domestique, aurait juré qu’il était la crème des maris présents, passés et futurs. Sous sa rude et grossière enveloppe il avait, en effet, tant de tendresse pour ses enfants ; il disait si souvent, à qui voulait l’entendre, que sa Madelinette était la perle des femmes ; tous les dimanches et jours de fête il faisait si allègrement, par n’importe quel temps, deux grandes lieues pour se rendre à l’église la plus voisine, n’oubliant pas de se confesser au moins quatre fois l’an, de donner à son tour, sans se faire tirer l’oreille, le pain bénit et de payer scrupuleusement et exactement sa dîme ; en un mot, il paraissait si bien s’acquitter de tous ses devoirs, que Pierriche, tout pauvre qu’il fût, était réputé le plus heureux mortel du canton et de bien loin.

Mais hélas ! trois fois hélas ! toute cette félicité n’était qu’extérieure, et le proverbe qui dit : « Il ne faut pas trop juger sur les apparences », a mille fois raison. Pierriche, le bon Pierriche, l’excellent Pierriche, le modèle du canton et de bien loin, avait un défaut, un gros défaut, un des plus affreux défauts qui puissent obscurcir le ciel conjugal : Pierriche était grognon, et son humeur grognonne le rendait naturellement querelleur et tracassier.

Dans les mauvais jours d’automne, — alors que les chemins sont boueux, défoncés, pleins d’ornières et de cahots, — Pierriche avait-il le malheur de rentrer chez