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UN MURILLO

— Non, madame, inutile d’insister, fit Suzanne inébranlable. Cet argent n’est pas à moi !

— Mais il t’est dû.

— Madame Flavigny, si j’avais quelque titre à votre reconnaissance, ce ne serait pas une raison pour moi, n’est-ce pas, d’accepter le paiement d’un service rendu ?

— Et moi, mademoiselle, intervint Maurice, je ne saurais garder cet argent qui vous appartient. M’enrichir au prix de votre sacrifice — à vous à qui je dois tant — ce serait une lâcheté qui me rendrait méprisable à mes propres yeux. Acceptez, je vous en prie… Suzanne ! dit-il.

Et il s’arrêta, tout bouleversé d’avoir osé prononcer ces deux syllabes, qui n’avaient fait encore que monter de son cœur pour expirer sur ses lèvres.

— Acceptez, dit-il, pour votre bonheur et le nôtre.

— Impossible, monsieur Maurice, répondit la jeune fille en se cachant la tête dans ses mains. Cet argent est à vous ; je ne l’accepterai, jamais… jamais…

Maurice laissa tomber ses deux bras de découragement, et jeta un regard autour de lui comme pour demander conseil.

Que faire ?

— Voyons, monsieur le curé, parlez ! supplia la pauvre aveugle.

Les deux jeunes gens qui étaient debout, l’un en face de l’autre, les yeux baissés, confondus dans le même embarras, aussi perplexes qu’affligés devant cette fortune inespérée qui leur tombait du ciel, et qu’ils ne pouvaient toucher, ni l’un ni l’autre, sans la capitulation de la conscience et du cœur.