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UN MURILLO

— Mais, monsieur, fit Suzanne, que ces assauts multipliés avaient rendue toute pâle et toute nerveuse, vous ne me devez rien. Ce tableau ne m’appartenait plus ; je l’avais vendu.

— Oh ! non, mademoiselle, vous ne l’aviez pas vendu ; comme en bon ange que vous êtes, vous aviez sacrifié cette relique de famille qui vous était chère, pour venir au secours de ma pauvre mère malade et délaissée.

— Qu’importe, monsieur ! Même en supposant un acte aussi charitable de ma part, je ne puis m’attribuer la propriété d’un objet sur lequel j’ai perdu tout droit de réclamation.

— Mademoiselle…

— Non, monsieur, je ne puis prendre cet argent, fit Suzanne en remettant l’enveloppe au jeune homme. Il n’est pas à moi.

— Alors, tiens, mère ! fit Maurice en déposant la traite entre les mains de l’aveugle ; donne-lui cela toi-même, puisqu’elle ne veut rien accepter de moi…

— Maurice, tu es digne de ton père, fit solennellement la pauvre aveugle.

Et s’adressant à Suzanne :

— Ma fille, dit-elle, Suzanne, mon enfant, accepte cette somme ; elle est à toi ; c’est la prédiction de ta grand’maman qui s’accomplit : tu te souviens, ce tableau devait te porter bonheur. Tu as pris soin de moi, tu m’as soulagée dans ma détresse, tu as veillé à mon chevet, tu m’as sauvé la vie : Dieu t’en récompense par la main de mon fils, et par l’intermédiaire inconscient de l’objet même dont ta charité s’était servie. Prends cet argent !