Page:Frère Gilles - Les choses qui s'en vont, 1918.djvu/163

Cette page a été validée par deux contributeurs.
163
LES CHOSES QUI S’EN VONT

ne fallait rien moins que la voix paternelle pour nous tirer de cet enchantement. Elle disait : « Va me chercher cette pierre, comme un homme » ou bien : « porte-moi cette cheville comme un grand garçon » : c’est avec une foi à transporter les montagnes que nous nous élancions vers la chose indiquée. Quelles délices s’il nous était permis de placer la pierre entre les pieux qui l’attendaient, ou de poser le coin dans la fente de la cheville ! Ô distinction ! Ô grandeur !

Nous suivions ainsi les clôtures de ligne et celles des pacages, puis celles de refente et des divers enclos ensemencés. Peu à peu, la charrette se vidait des pièces neuves. Les pieux rompus et les piquets brisés en prenaient aussitôt la place pour servir à nouveau pour la clôture du jardin, qui avait une particularité non sans charme. Ces vieux piquets nouvellement aiguisés et enfoncés à d’inégales profondeurs, apparaissaient de loin comme les bords dentelés d’un vieux vase d’argent, duquel s’échappent des fleurs et des fruits.