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Cyprien qui avait pris un peu d’avance sur le chemin, criait de se presser pour ne pas manquer le train.

En ravalant ses sanglots, Céline se retourna une dernière fois sur le seuil de la porte pour voir d’un coup d’œil toute la maison paternelle, cette maison qu’on aime avec son cœur mais aussi avec le cœur de ceux qui l’ont aimée avant nous. Puis, après avoir embrassé tante Mérance encore une fois, elle descendit l’escalier et suivit Cyprien sans plus jeter un regard en arrière.

Tante Mérance cramponnée au chambranle de la porte la regarda descendre, puis elle alla se poster à la fenêtre. Elle souleva le rideau, tout en s’essuyant les yeux avec le coin de son tablier, n’osant trop les regarder parce que cela la faisait pleurer, et voulant les regarder encore parce qu’elle ne les verrait plus. On croit que le cœur se glace en vieillissant ! Le cœur est toujours jeune ; il n’a plus l’âge d’être aimé, il a toujours l’âge d’aimer. Les vieilles personnes ne demandent d’ordinaire à la vie que des miettes de tendresse ; mais quand ces miettes leur sont refusées, la vie leur apparaît dans son austérité implacable, et le goût de la mort leur monte aux lèvres.

Lorsque les voyageurs eurent disparu derrière les peupliers des quatre-chemins, Mérance se retourna en jetant un coup d’œil autour d’elle :

— Jour du pays ! que la maison est grande…