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s’arrêtait souvent au milieu de ses refrains, les yeux mi-clos, pour regarder là-bas, loin, loin… S’il lui demandait brusquement : « À quoi penses-tu Céline ? » elle répondait en rougissant : « je ne pense à rien, papa. » Or il est difficile de cacher un tendre penchant ; il y faut une habileté très compliquée que ne possédait pas l’âme franche et ingénue de Céline. D’ailleurs, le père Braise savait bien à quoi pensent les jeunes filles qui ne pensent à rien. Une chanson a rendu le secret assez notoire. Cependant il feignait de l’ignorer, hochait la tête et tournait le dos.

Lorsque les fêtes arrivèrent, il n’y eût pas dans la paroisse de garçon plus enragé que lui pour courir les veillées. Céline en était toute joyeuse.

Mérance, qui devait bien comprendre pourtant le sens de cette activité garçonnesque, ne cachait pas sa surprise :

— Tu sens ton coup de mort, Braise, disait-elle, ça pas d’allure à ton âge.

— Gageons que tu veux venir aussi toi, répondait-il en la regardant de travers.

— Jour du pays ! ça serait bien l’estèque, par exemple !

Pendant un mois, ce ne fut qu’après-midis de cartes, brelans de pommes, repas et veillées. On aurait dit que le père Braise avait fait le vœu de faire connaître sa fille à tous les garçons de la paroisse et d’ailleurs. Au fond, il regrettait la pâle espérance donnée à Cyprien. De nouvelles connaissances pouvaient permettre à Céline de montrer des préférences dont il saurait bien tirer parti pour se libérer de sa demi promesse.

Les fêtes passèrent, et le calme revint à la