Page:Frère Gilles - L'héritage maudit, 1919.djvu/19

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 19 —

eût craint de s’entendre lui-même, qu’il avait commencé à aimer Céline, comme cela, sans savoir. C’était venu tout seul. Il avait d’abord cherché à éteindre en lui ce nouveau feu, si étrange ; mais il lui semblait qu’au contraire, il renaissait plus fort chaque jour. Aux heures d’exaltation, des dialogues animés pétillaient en lui comme des étincelles. Il ajoutait, en souriant tristement, qu’il y avait le double rôle de faire les demandes et les réponses. Il avoua même qu’il pleurait quelquefois, à la pensée qu’il ne saurait jamais se faire aimer. Il avait cru un jour pouvoir tout dire spontanément au père Braise ; mais ce fut une résolution comme celles que prennent les malades aux heures de crises, et qu’ils abandonnent dans le cabinet du chirurgien. Il avait alors voulu partir, bien qu’il en souffrirait, et précisément parce qu’il souffrirait davantage encore de rester… Il disait tout cela avec une humble ingénuité qui rendait touchantes ses moindres paroles, ses hésitations même.

Il est difficile de douter de la sincérité des yeux qui pleurent et des cœurs qui saignent. Le père Braise écoutait, sans l’interrompre, pendant que la mélancolie indulgente du crépuscule sortait du bois et s’approchait d’eux pour les envelopper. À un moment du récit, le vieillard passa même la manche de sa chemise sur sa joue en regardant le ciel ; et cependant il ne pleuvait pas… Il s’apercevait alors, le père Braise, que la laideur typique de France, lui avait peut-être valu de garder son âme candide, préservée jusque là des ordinaires écarts de son âge, et de ses