Page:Frère Gilles - L'héritage maudit, 1919.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 18 —

fortante mettait en lui, le père Braise se prit à raconter, comme s’il se parlait à lui-même, les phases de son grand amour d’un demi-siècle pour son bien. Il dit les joies pures dont la terre avait fleuri son existence, en échange de ses soins mercenaires. Devant elle, il ne voyait ni maître ni serviteur, car après tout, la terre n’appartient qu’à Dieu, il se reconnaissait le gérant de cette infime portion confiée à ses soins pour ce peu de temps qu’est la vie. Comme il avait reçu cette terre de ses ancêtres, de même il devait la rendre à ses enfants. Si, pour remplir ses devoirs envers elle, il avait besoin d’aides, il ne voyait pour tous qu’un même devoir dans un même intérêt et un même amour. Et d’un geste large, embrassant tout le bien : Voilà, après Dieu, dit-il, celui que nous servons !

Puis après un long silence, se tournant vers France :

— Puisque tu aimes toujours la terre, dis-moi donc pourquoi tu veux partir ?

Pris au dépourvu, France balbutia quelques paroles inintelligibles et demeura court.

— Je vais te le dire, moi, reprit le père Braise en plongeant son regard dans le sien ; tu aimes Céline ?

— Qui vous a dit cela ?

— Hé ! mon pauvre France, on ne vit pas 70 ans à regarder les étoiles. J’ai eu ton âge moi aussi, et à cet âge-là, il est des silences qui en disent plus que de longs discours.

France resta d’abord confondu, écrasé. Après un moment d’hésitation et de dernière lutte, le jeune homme dit d’une voix sourde, comme s’il