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LA CURÉE

Ces hommes en corset, ces visages de femme,
Héros du boulevard de Gand,
Que faisaient-ils, tandis qu’à travers la mitraille
Et sous le sabre détesté,
La grande populace et la sainte canaille
Se ruaient à l’immortalité.
Tandis que tout Paris se jonchait de merveilles,
Ces messieurs tremblaient dans leur peau,
Pâles, suant la peur, et les mains aux oreilles,
Accroupis derrière un rideau.
C’est que la Liberté n’est pas une comtesse
Du noble faubourg Saint-Germain,
Une femme qu’un cri fait tomber en faiblesse,
Qui met du blanc et du carmin :
C’est une forte femme aux puissantes mamelles,
À la voix rauque, aux durs appas,
Qui, du brun sur la peau, du feu dans les prunelles,
Agile et marchant à grands pas,
Se plait aux cris du peuple, aux sanglantes mêlées,
Aux longs roulements des tambours,
À l’odeur de la poudre, aux lointaines volées
Des cloches et des canons sourds.

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. . . . . . . . . . . .


Qui, plus tard, entonnant une marche guerrière,
Lasse de ses premiers amants,
Jeta là son bonnet, et se fit vivandière
D’un capitaine de vingt ans.
C’est cette femme enfin qui, toujours belle et nue,
Avec l’écharpe aux trois couleurs,
Dans nos murs mitraillés tout à coup revenue,
Vient de sécher nos yeux en pleurs,
De remettre, en trois jours, une haute couronne
Aux mains des Français soulevés,
D’écraser une armée et de broyer un trône
Avec quelques tas de pavés.