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paternels conseils, arraché à l’existence de propre-à-rien où je sens que j’ai pu contribuer à vous conduire. Sortez du journalisme ; mettez-vous dans l’Immeuble. J’ajouterai une parole qui aura son écho dans les siècles futurs, sur laquelle les historiens de l’avenir se chamailleront sans répit et que la moitié de l’humanité jettera en opprobre à ma mémoire ; mais une parole que mon bonheur présent me fait un devoir de vous crier des profondeurs de mon âme… si la prison m’en a laissé une : Mentez, mentez, il vous en restera toujours quelque chose.

Après cela, voulez-vous que je vous dise ? je ne suis pas assez naïf pour croire que vous m’écoutiez… Vous resterez dans le journalisme, vous publierez vos Souvenirs, vous passerez encore par la justice de François Langelier (celui qui, au dire de son frère Charles, organisait avec le futur juge Lemieux les grandes bagarres électorales de 1886), et vous retournerez chez M. Morin. Et comme vous n’êtes ni Gaynor ni Greene, que vous n’êtes pas un client de M. Alexandre Taschereau, que vous n’avez tenté de voler ni $60,000 ni $50,000 à la Province, et que, malgré vos talents de séduction trop peu connus (avis au Sexe !), vous n’avez nullement ce qu’il faut pour gagner la Dame qui veille à la porte du procureur-général sous les traits aimablement sphinx-tériens du rond-de-cuir que nous savons (je ne le nomme pas, ne voulant pas faire de personnalités), permettez qu’au moins, à titre de frère en M. Morin, et en attendant que je raconte moi-même, dans le « Brief trayté de la Cocqueraile », quelques-uns de mes souvenirs d’incarcération, je vous indique les moyens d’obtenir cette fois, comme qui dirait, un peu de beurre sur vos épinards.

En vous lisant, mon cher Fournier, je constate que, durant une partie du moins de ma détention, j’ai eu chaque jour, de plus que vous, une chopine de lait, un œuf et une orange (le Gouverneur dira deux œufs, mais j’en appelle au jeune et sympathique escroc qu’on laissait mourir de faim et à qui je donnais l’autre). Promettez-moi seulement d’être discret — car autrement, tout le monde, Môssieu Pansereau le premier,