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naient comme les autres au skelley, il se gavait à chaque repas de poulet ou de bifteck. Les vins même ne lui faisaient point défaut, et le dimanche il ne manquait jamais de sabler le champagne à la santé du gouverneur… — Sous l’œil distrait ou indulgent des gardes, il se croyait tout permis, jusqu’à l’évasion exclusivement. Mais comment songer à s’évader d’un tel séjour ? — Comme j’allais lui faire mes adieux, le matin de mon départ, je le trouvai dans une grande agitation. Il achevait, en ce moment-là précisément, un travail de longue haleine et de haute patience : c’est à savoir, la démolition d’une cloison en bois donnant sur l’escalier des prisonnières…


… Mais j’anticipe. Tous ces faits, avec beaucoup d’autres, feront le sujet d’une seconde série de Souvenirs, qui paraîtra, je l’espère, prochainement.

J’aurai aussi l’honneur, dans ce même ouvrage, de faire part au public de mes longues et patientes observations sur les nombreuses variétés de coquerelles qui peuplent l’infirmerie de la prison de Québec.

J’ai, je puis m’en flatter, bien étudié les mœurs de ces insectes et leurs habitudes. — Mes relations avec eux datent de ma première nuit à l’infirmerie. Je venais d’éteindre ma lumière, et j’avais à peine eu le temps de fermer l’œil, que je sentais… quelque chose me monter dans le cou, puis me traverser lentement la figure. C’était une maîtresse coquerelle, une aïeule certainement, — comme qui dirait, dans le monde des cancrelats, un gouverneur. J’étendis la main, et je vis qu’elle mesurait bien près de deux pouces. Je voulus la retenir entre mes doigts… Alors, un combat terrible s’engagea dans les ténèbres. Lutte épique, dirait Mousseau, mon député ; combat de Jacob avec l’Ange !… Je l’avoue à ma confusion, ce fut la coquerelle qui l’emporta ; elle finit par s’échapper.

À dater de ce moment, les coquerelles furent l’objet de ma constante attention. Matin, midi et