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Mon cher Fournier,

Quand j’étais journaliste, et que je m’efforçais de toujours dire la vérité, et que je la disais pour protéger le public contre les voleurs, j’allais en prison. Je fais maintenant dans l’Immeuble ; j’ai beaucoup menti depuis quelques mois ; jamais je n’ai été si considéré de mes concitoyens. Quand j’aurai dompté les derniers vestiges de ma timidité, que je saurai voler franchement, voler tout le temps, et voler tellement que je ne pourrai plus expliquer à personne l’origine de ma fortune, je serai mûr pour le ministère, je serai élu aux conseils d’administration des voies ferrées, je deviendrai le courtier attitré et le confident des soucis matériels de Saint-Sulpice[1], je donnerai avec ostentation aux hôpitaux et aux églises et je serai cité en exemple au menu fretin du haut des chaires de vérité.

Quant à vous, sorti à moitié du journalisme, vous goûtez à la Patrie la protection du seul vrai Mécène que possèdent à l’heure actuelle les Lettres canadiennes-françaises : je veux dire M. Louis-Joseph Tarte, et je parle ici sérieusement, pour avoir moi-même passé à la Patrie la plus douce année de mon existence. Mais tant que vous tiendrez, de si loin que ce soit, à ce damné métier, vous ne pourrez vous empêcher de faire des fredaines, vous conserverez la démangeaison d’écrire des ouvrages comme celui-ci pour dénigrer tout ce que vénèrent nos compatriotes : les magistrats, les geôliers, les gardes, les prisons. Je vous ai fait, dans le passé, beaucoup de tort par mes mauvais exemples. Ma conscience ne me donnera de cesse que je ne vous aie, par de

  1. Simple allusion à un jugement que pas un journal n’a cité, mais dont j’ai la copie « par devers moi », comme dirait l’académicien Choquette, et où le juge Demers dit que M. Louis-Joseph Forget, sénateur, et un certain nombre d’autres, se sont rendus coupables de fraude en se vendant à eux-mêmes au rabais, sous le nom de Dominion Textile Co., les biens de leurs mandants, les actionnaires de la Dominion Cotton Co. — O. A.