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XII

À barreaux rompus. — Les distractions de l’établissement.

J’ai dit que les livres, au bout de quelque temps, me furent permis. M. Morin lui-même me rendra ce témoignage, que du moins je n’en abusai pas. L’état d’épuisement où m’avait jeté la diète devait bientôt m’interdire jusqu’à cette distraction.

Il me restait, tous les deux jours, de sortir une heure ou deux dans la cour avec les camarades. Cette cour était d’assez vastes dimensions. La prison de deux côtés, et, des deux autres côtés, un mur en maçonnerie, lui faisaient une espèce de cadre rectangulaire d’aspect parfaitement agréable. L’herbe y poussait en abondance, parsemée de fleurs bleues et de fleurs jaunes, de trèfles fleuris, et surtout de marguerites. Bref, un vrai coin d’idylle. Joignez que j’y portais des sentiments très bucoliques, et presque l’habit du berger. Il n’y manquait qu’une bergère… Mais j’oubliais madame de Saint A…, qui, du deuxième étage, épanchait dans ses romances, avec une ardeur jamais diminuée, le trop-plein de son cœur inassouvi.

Cependant, pour m’aider à digérer le skelley que je n’avais point mangé, je me livrais éperdument aux sports. Je faisais de la course avec les autres bandits, je m’exerçais à soulever les poids les plus légers, et surtout je n’avais pas mon égal pour me chauffer au soleil. — Le base-ball aussi m’intéressait fort. Il y avait, dans un coin de la cour, une vieille balle qui n’était pas un objet d’une petite antiquité. De mémoire de prisonnier, on n’avait pas connaissance d’en avoir vu d’autre en l’établissement. Telle quelle, elle faisait notre bonheur… Dame ! quand on ne peut se payer le champagne, on fait comme M. Morin,