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désillusion m’attendait ! Monsignor T… est sans nul doute un fort excellent homme, et le Ciel me préserve de vouloir faire entendre le contraire ! Il me parut d’ailleurs instruit, intelligent, et rempli des meilleures intentions. Seulement, le contraire même de ce que j’attendais ! Le tempérament le plus flegmatique, la nature la plus fermée, la physionomie la plus impassible. Enfin, le type même de la froideur : un vrai glaçon !

Quand mon tour fut venu de lui parler, je m’avançai.

— Quel est votre nom ? me demanda-t-il.

Je le lui avouai en rougissant.

— Ah oui… reprit-il, vous êtes arrivé hier… Trois mois, n’est-ce pas ?… Ah pauvre malheureux, vous êtes bien à plaindre !

— Vous trouvez ? eus-je envie de lui répondre.

Il se tut un instant, comme s’il ne trouvait plus rien à dire. Puis il reprit :

— Et… que puis-je faire pour vous ?

— Vous pourriez peut-être, dis-je, me prêter des livres ?

Mais il n’en avait pas un seul sous la main. Il finit par me remettre une liasse presque énorme de brochures et de publications pieuses : Bienfaits de la Pénitence, Méditations sur le Purgatoire, Traité de la Bonne Mort, etc. — Au moins, me dis-je en moi-même, voilà qui n’est pas folichon !

Ce paquet sous le bras, je sortis dans la cour, où l’on me permettait pour l’instant une courte excursion. J’y retrouvai l’Italien, en train de se vautrer dans l’herbe haute, et mon autre compagnon, qui pour lors se promenait au long des murs, les deux mains dans ses poches et pensivement.

Comme j’arrivais près d’eux, je m’entendis interpeller brusquement :

— C’est vous, monsieur Fournier ?

Hein !… une voix féminine qui m’appelle ?… À cette heure, en ce lieu ?… Je levai la tête vers le deuxième étage — et j’éclatai de rire. Je venais d’apercevoir madame de Saint-A…, que j’avais eu l’honneur de recevoir un samedi soir au Nationaliste, quelque six semaines auparavant. Il faut vous dire qu’en ce temps-là cette honorable