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Vers minuit, les émanations qui s’échappaient de la cellule voisine prirent une violence d’égoûts débordés. Alors seulement je compris pourquoi l’on m’avait mis à côté de l’Italien… Sur les vingt-quatre cellules du quartier, il y en avait vingt-deux de libres au moment de mon arrivée ; et, sur ces vingt-deux, on avait justement choisi celle-là. Mon crime, paraît-il, n’exigeait pas moins.

De tous les petits supplices que l’on réussit à m’infliger sous le toit de M. Morin, j’avoue que celui-là me fut de beaucoup le plus pénible. Chaque fois qu’un garde passait devant la cellule fatale, je l’entendais hâter le pas presqu’avec terreur, poursuivi jusqu’au bout du corridor par cette odeur de charnier.

Je ne songeais plus aux tiraillements d’estomac. À tâtons dans les ténèbres, je refis mon lit comme je pus, de façon à m’appuyer la tête au mur du fond… Et, dans cette position commode, j’attendis patiemment le sommeil.

Enfin, vers deux heures du matin, je réussis à m’assoupir.

Je fis des rêves enchantés, où le geôlier, humble et prosterné, m’offrait en tremblant beaucoup de skelley dans des vases en or ; où le shérif m’apportait de ses propres mains des draps immaculés pour mon grabat ; où les trois Langelier, enfin, pour me distraire, venaient ensemble danser devant moi la danse du ventre… Et surtout je vis l’Italien, vêtu d’un tuxedo et le cigare aux lèvres, me tendre sur un plateau d’argent de menus flacons d’eau de cologne…

Je m’éveillai comme l’aube paraissait.

Quelque temps après, on venait nous ouvrir les portes…

C’était dimanche, et déjà le soleil emplissait les corridors d’une grande lueur vermeille.