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bouclier contre la paillasse, et surtout contre la couverte. Quant à l’oreiller, je l’enveloppai du mieux que je pus dans un vieux numéro de journal. Ainsi protégé, je pus croire un moment que j’allais dormir comme un prince.

Ce qui m’en empêcha tout d’abord, ce fut l’heure peu avancée à laquelle je tentais l’entreprise. En ce temps-là, je travaillais surtout le soir et il m’arrivait assez fréquemment de passer la nuit blanche sur un article. Allez ensuite essayer de vous endormir à cinq heures et demie de l’après-midi !

J’ai dit qu’on se trouvait au commencement de juin. C’est une époque où les jours sont joliment longs, et à l’heure dont je parle le soleil était loin d’avoir fini sa course. Par les fenêtres du corridor, ses rayons arrivaient jusqu’à ma cellule, dont ils éclairaient vaguement l’entrée. Avec de bons yeux on pouvait encore lire, et j’eusse volontiers embrassé les mains noires de mon geôlier pour obtenir qu’il me prêtât des livres.

Deux heures plus tard, nous étions à peu près dans l’obscurité ; mais je n’avais pu encore fermer l’œil.

À neuf heures, ténèbres complètes. Je songeais alors au Nationaliste. « Ils doivent en être maintenant aux derniers Échos, me disais-je. Oh ! que ne puis-je m’envoler pour quelque temps rue Sainte-Thérèse ? Un mois de ma vie pour m’y trouver une heure ! »

Longtemps après, je réussis à m’assoupir ; mais ce ne fut que pour un instant ; bientôt je me réveillais en sursaut, avec des tiraillements d’estomac. J’étendis la main sous mon lit, vers l’assiette providentielle, et, de nouveau, j’avalai une grande cuillerée de skelley.

Toutes les demi-heure, un garde passait dans le corridor, une lanterne à la main.

— Quelle heure est-il ? demandai-je.

— Onze heures vont sonner.

Et je m’endormais moins que jamais…