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c’t’heure, j’m’en vas vous montrer vot’ cellule… Par icite !

Je le suivis… Il marchait à pas mesurés et importants.

Vers le milieu du second corridor, il s’arrêta soudain, et poussa une porte.

— Ah non, fit-il en reculant, ici, c’est l’Italien.

Une odeur s’échappait de ce réduit, tellement nauséabonde, tellement suffocante… Mais n’insistons pas.

— Vous, continua le garde en se bouchant le nez, vous aurez celle d’à côté… tenez, le numéro quatorze.

… Et le voilà parti sans plus dire, me laissant seul en contemplation devant mon nouveau logement.

Ainsi donc, j’allais passer là trois mois, de cinq heures et demie du soir — m’avait dit le garde — à six heures du matin. Déjà cette cellule m’inspirait un profond intérêt. Mettez-vous y à ma place.

J’y pénétrai avec empressement, et me trouvai dans une chambre de huit pieds sur trois, obscure et suspecte, dont un grabat formait tout l’ameublement… Sur un chevalet branlant, on avait jeté cet étroit matelas rempli de paille, et, par-dessus le matelas, une couverte en indienne, d’une saleté uniforme et repoussante. L’oreiller, également bourré de paille, était dans un non moins bel état : on l’aurait trempé dans la boue qu’il n’aurait pas été plus noir. Me plaindre, réclamer… il n’y avait pas à y songer : on m’eût ri au nez. J’en devais d’ailleurs avoir la preuve le lendemain.

Affaibli par un jeûne d’une journée et les fatigues d’un long voyage, j’eusse pu, pour de moindres épreuves, ressentir peut-être quelque découragement : devant une aussi complète, une aussi intégrale sauvagerie, ce qui me frappa tout d’abord, ce fut le comique de la situation. En ce moment l’effort de mes tortionnaires m’apparaissait en quelque sorte à la façon d’une œuvre d’art. Tant de perfection m’émerveillait. Je n’en revenais pas.

Je ne dis pas que cela dura longtemps ; mais ce fut bien là ma première impression. Devant