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V

Où l’auteur goûte au skelley pour la première fois.

J’étais dans le ward depuis un quart d’heure à peine, lorsque notre collègue du 15 dut s’éclipser, ses services étant pour l’instant requis ailleurs.

Je restai donc seul avec l’Italien, le monsieur accusé de vol, et le garde.

L’Italien ne disait mot ; à peine l’entendait-on de temps en temps, entre deux bâillements, pousser une espèce de grognement inarticulé. Le monsieur accusé de vol ne savait parler que de son affaire, ma foi pas très claire ! et quant au garde, il était, c’est le cas de le dire ou jamais, muet comme une porte de prison.

Il ne me fallut pas bien longtemps pour juger que d’aucun des trois je ne saurais tirer rien d’intéressant.

Par-dessus le marché, pas un livre, et défense absolue d’écrire. Pour plus de sûreté, on était allé jusqu’à me priver d’un petit bout de crayon, que j’avais demandé la permission de conserver.

Dès ce moment, je commençai de trouver la prison désagréable.

Vous croirez peut-être que ce qui m’ennuyait le plus, c’était la perspective de passer trois mois là-dedans. À vrai dire, cette idée ne me plongeait pas dans une allégresse folle ; mais pour l’instant elle ne me préoccupait pas outre mesure. Je me disais que dès le mardi suivant je verrais mes amis, et que, par leur intermédiaire, je pourrais sans doute me procurer des livres, des revues, peut-être même des journaux, obtenir la permission d’écrire, bref m’arranger un genre de vie après tout supportable. Par exemple, qu’allais-je faire dans l’intervalle, seul avec le garde et ces deux brutes ? Profonde question, que je retournais malgré moi dans mon esprit, non sans quelque terreur…