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La prison de Québec comprend trois wards principaux : le 11, consacré à ces dames ; le 15, qui est celui des condamnés de droit commun ; enfin le 17, réservé comme qui dirait à l’aristocratie des prisonniers, c’est à savoir : les détenus qui attendent leur procès et les condamnés pour délits spéciaux.

Condamné pour délit spécial, et à ce titre placé dans le quartier des simples prévenus, je devais, aux termes mêmes du règlement affiché dans tous les couloirs, être dispensé de la livrée, ainsi que de l’alimentation des condamnés de droit commun. Aussi bien, de l’aveu même du gouverneur, jamais un détenu du 17, avant moi, n’avait encore été astreint à l’une ou l’autre de ces aggravations de peine.

Mais il paraît que M. le shérif n’était pas homme à s’embarrasser pour si peu. Ne pouvant tout de même pas m’envoyer au quartier des travaux forcés, il lui restait la ressource de m’imposer, dans le quartier voisin, exactement le même régime.

D’abord, on me demanda de dépouiller mes habits et de revêtir la livrée. C’est ce que je dus faire sur-le-champ, en la présence de mes nouveaux collègues, heureusement peu nombreux, et que cette double opération parut intéresser prodigieusement.

Quand cela fut fait, et que l’assistant de M. Morin se fût retiré en refermant sur nous la porte du corridor, je poussai un long soupir de soulagement. J’allais donc enfin être tranquille !

Pour la première fois alors, je songeai à considérer mes compagnons de captivité.

Ils étaient quatre, y compris le garde.

Encore, des trois prisonniers, l’un ne se trouvait-il là qu’en passant. C’était un pensionnaire du 15, un petit vieux à figure attendrie, que son amour de la goutte conduisait à la prison en moyenne trois fois par an, depuis plus d’un quart de siècle. Il devait à sa longue expérience de l’établissement un certain crédit auprès du gouverneur. Aussi le laissait-on circuler un peu partout dans la maison, chaque fois qu’il pouvait fournir le motif, ou seulement le prétexte, d’un