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minutes. N’allèrent-ils pas jusqu’à entr’ouvrir ma chemise et à fouiller dans mes chaussettes ?

Enfin, fixant mes souliers d’un œil soupçonneux :

— Vous n’avez rien là-dedans ? questionna le numéro deux.

— Si.

— Quoi ?

— Des cors.

Ainsi s’acheva la cérémonie.

J’avais à peine repris place à mon siège, qu’un autre séïde arrivait, les bras chargés d’un gros paquet. C’était ma livrée au complet : camisole rayée, pantalon rayé, chemise en toile bise, sous-vêtements dont saint Antoine eût pu se faire un cilice, souliers du dernier modèle, enfin large panama en paille du pays.

L’homme posa délicatement le tout sur le pupitre.

— Pour qui ça ? lui dis-je.

— Ça, c’est pour vous.

— Pour moi ?… Alors pourquoi m’a-t-on fouillé, si l’on doit maintenant m’enlever mes vêtements ?

— Ah, quant à ça… demandez au gouverneur !

Quelques minutes plus tard, mon avocat, sur le point de repartir pour Montréal, venait me faire ses adieux. Il s’étonna que je pusse plaisanter en un pareil moment. Je m’étonnai non moins sincèrement qu’il pût ne pas plaisanter.

Il m’eût peut-être trouvé moins fier s’il eût pu me voir vingt minutes après, attendant, toujours à la même place, que l’on voulût bien m’emprisonner pour de bon…