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panier à salade : je n’ai jamais pu comprendre pourquoi. Le chef McCarthy s’était chargé de me conduire en simple fiacre, et sans aide aucune, à mon nouveau domicile. Ainsi se préparait-il, dès lors, au rôle difficile qui l’attendait dans l’affaire Crippen.

Dans le sous-bassement du palais de justice, où l’on m’avait temporairement mis sous clef, j’étais en train de rédiger pour mon journal une courte dépêche, que j’espérais pouvoir glisser, au dernier moment, dans la main d’un ami… Soudain, je vis s’avancer vers moi un homme à moustaches grisonnantes, coiffé d’un simple melon, vêtu comme vous ou moi, et d’aspect si peu féroce que, tout de suite, je ne le jugeai pas plus fait pour faire un policier que moi pour faire un pape. C’était M. McCarthy, le futur protecteur d’Ethel LeNêvé.

D’un geste digne de Rambouillet, il me pria de le suivre.

Une porte s’ouvrit.

— Monsieur…

Et, d’un second geste non moins poli, il m’invitait à monter dans sa voiture. Dame ! j’étais son hôte…

Et nous voilà roulant tous deux vers les plaines d’Abraham. Notre promenade, à travers les rues pittoresques et les avenues ombreuses, dura bien vingt bonnes minutes. Jamais encore je n’avais eu pareil plaisir à contempler les beautés de cette ville hospitalière.

Je ne manquai pas d’en informer mon cicerone. Il me répondit que je n’avais point tort, et m’offrit une cigarette. — Quel charmant homme ! J’en devais, hélas, trouver de moins obligeants quelques heures plus tard…

Nous étions alors, je l’ai dit, aux premiers jours de juin. L’été entrait dans toute sa force. Un soleil éblouissant, comme dans Leconte de Lisle, « tombait en nappes d’argent des hauteurs du ciel bleu ».

Je ne citai point Leconte de Lisle au chef McCarthy. Je me contentai de lui faire observer, — avec un autre poète, — « qu’il faisait beau temps pour la saison ».