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MON ENCRIER

six kilomètres. On s’y rend en diligence, par de grandes routes bordées de platanes, à travers les blés verts et les vignes. Le trajet, sous la pluie qui tombe par torrents (chose presque inouïe en Provence), prend bien près d’une heure.

Enfin, nous entrons dans le village… Nous passons le bureau de poste, deux ou trois cafés, puis la voiture oblique à gauche et s’arrête ; j’entends le conducteur me crier :

— C’est là chez M. Mistral.

Je saute dans la rue, et me voici devant une humble maison blanche, en tout pareille à celles des voisins, et dont se contenterait à peine le moindre notaire de campagne de mon pays. C’est là qu’habite le grand homme de la Provence, le chantre inspiré de l’âme latine, l’illustre poète devenu, de son vivant même, légendaire…

Je frappe à la porte, et, l’instant d’après, me voici en présence du Maître.

C’est dans sa bibliothèque qu’il me reçoit, pièce de moyenne grandeur, dont les fenêtres donnent sur le jardin, du côté du soleil levant. Je le trouvai debout à la cheminée, qui se chauffait à un grand feu pour se consoler du mauvais temps.

En me voyant entrer, il s’avança, la main largement tendue :