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MON ENCRIER

les sombres bords, son ombre m’approuvera.

Tout est là, en effet : nous ne possédons plus depuis longtemps, nous avons depuis longtemps perdu à peu près complètement le génie de la langue, et par là je veux dire, — s’il faut en vérité, confrère, vous expliquer ces choses, — nous avons perdu non-seulement telles ou telles qualités de la langue, mais bien cette forme même d’intelligence qui les conditionne toutes et que rien ne saurait suppléer, — nous avons perdu cette aptitude même et cette tendance même de l’esprit qui font que, dans un cerveau de France, les idées (et c’est-à-dire les mots) tout naturellement ne se présentent, ni ne se joignent, ni ne s’ordonnent, de la même manière que dans un cerveau d’Allemagne, par exemple, ou d’Angleterre. Sous l’empire des circonstances que j’ai rappelées, et parallèlement à la transformation pareille de notre tempérament, de notre allure, de tout notre être physique enfin, c’est notre esprit lui-même qui s’est transformé, c’est le mode même de notre activité mentale qui a changé.

Entendez bien cela, s’il vous plaît, confrère ! et vous aussi abbé Blanchard avec tous les fabricants de Corrigeons-nous ! et toi aussi, gris fantôme de Tardivel ! entendez bien cela que vous criait de son temps déjà Arthur Buies. Redonnez-nous d’abord, s’il est en votre pouvoir,