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MON ENCRIER

contraire que c’est le second qui est cause du premier. Je vous dis qu’au lieu de prétendre, comme vous le faites, que c’est parce que nous lisons peu les bons auteurs que nous parlons mal, on doit au contraire tenir que c’est parce que nous parlons mal que nous lisons peu les bons auteurs. — Non que je songe à nier, mon cher confrère, un seul instant, l’influence de nos lectures sur notre langage. Influence considérable, certes, s’il en est, influence immense… Je dis seulement que, telle qu’elle puisse être, et si puissante et si profonde la supposiez-vous, elle n’en est pas moins tout d’abord subordonnée tout entière à la qualité de notre esprit — et donc de notre langage. C’est qu’en effet l’on n’a jamais, en littérature comme dans la vie, que les fréquentations que l’on mérite. C’est qu’entre tous les écrivains l’homme qui lit va toujours, par une pente proprement invincible, à ceux en qui il retrouve, à un degré quelconque, le plus de soi-même et de sa propre personnalité. C’est qu’il n’est rien enfin de plus nécessaire que nos lectures, si je puis ainsi dire, rien qui nous soit davantage imposé par la nature même de notre esprit et la constitution même de notre être intellectuel. En d’autres termes, je dis qu’il n’est pour un même homme ou pour un même peuple, dans le même temps, qu’un seul genre de lectures possible. En d’autres termes