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rimailleurs efflanqués qui aiment d’amour platonique la Muse dont ils ne connaîtront jamais les caresses, la Muse qui se donne au génie seul, il n’y a pas pour eux d’excuse valable. Toutes leurs pâles ardeurs n’engendreront jamais d’œuvre supérieure. Ils sont condamnés fatalement à être stériles et ne pourront jamais que fabriquer des bonshommes de cire comme ceux des vitrines de coiffeurs. Ils ignoreront toujours l’ivresse de créer de la vie. Vous ne les trouvez pas bien à plaindre, alors, les voyant si bêtes — si bêtes qu’ils se croient obligés de s’imposer la privation du pain de tous les jours pour noircir quand même du papier ?…

Nous ne prétendons pas nier qu’il se trouve parmi nous des gens de talent et même des esprits supérieurs. Nous avons au contraire précisément exprimé cette pensée quelques lignes plus haut. Ceux-là pourraient nous donner, disions-nous, des productions de valeur et même des œuvres brillantes. Seulement, les livres même les mieux écrits et les plus fortement pensés, même les plus originaux et les plus charmeurs, sont en tel nombre dans le monde qu’il nous paraît insensé pour un homme de consentir à souffrir beaucoup pour en écrire un nouveau. C’est bien beau, d’être martyr, mais encore faut-il que l’on se sacrifie pour une cause raisonnable, — non pas pour une manie ou une idée fixe.