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CHANTECLER À LA SCÈNE

⁂ Mais il ne faudrait pas supposer que, si Chantecler a désappointé le public, M. Rostand de son côté soit fort content de cette œuvre. Jamais un artiste n’a plus douté de son génie, jamais aucun n’a eu plus que lui l’effroi du lendemain et le vertige devant son œuvre… N’est-ce pas lui-même, Edmond Rostand, qui s’écrie par l’organe de Chantecler (et c’est justement l’une de ses meilleures inspirations) :

Comprends-tu maintenant l’angoisse qui me ronge ?
Ah ! le cygne est certain, lorsque son cou s’allonge,
De trouver, sous les eaux, des herbes ; l’aigle est sûr
De tomber sur sa proie en tombant de l’azur ;
Toi, de trouver des nids de fourmis dans la terre ;
Mais moi, dont le métier me demeure un mystère,
Et qui du lendemain connais toujours la peur,
Suis-je sûr de trouver ma chanson dans mon cœur ?

(Acte II, scène 3.)

Je n’ai pas besoin de dire jusqu’à quel point cela est touchant et pathétique… Remercions le Ciel, mes amis, qui veut bien nous épargner, à nous, ces angoisses, et, quant à M. Rostand, il peut se consoler. D’autres avant lui — et de plus grands encore — eurent de ces accidents. Entre deux chefs-d’œuvre, ils écrivaient des… Chantecler. Corneille lui-même, le vieux Corneille, n’avait-il pas — après le Cid, je pense — publié et fait jouer Suréna, roi des Parthes ? Cela ne l’a pas empêché de nous donner, par la suite, de nouveaux chefs-d’œuvre. Qui songe aujourd’hui, devant le bronze pensif de Cor-