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MON ENCRIER

de moqueries et de huées, cela ne serait pas possible. Bourassa lui-même, en ces dernières années, ne reçut pas plus d’avanies de la part des gazettes ministérielles. On le montrait partout du doigt, les petits enfants couraient après lui dans la rue…

À la fin, le pauvre homme en devint fou. Puis il mourut.

Ici, je cède la parole à notre barde national, M. William Chapman[1] :

On vivait. Que faisait la foule ? Est-ce qu’on sait ?
Et depuis bien longtemps personne ne pensait
Au pauvre vieux rêveur enseveli sous l’herbe.
Soudain, un soir, on vit la nuit noire et superbe,
À l’heure où sous le grand suaire tout se tait,
Blêmir confusément, puis blanchir, et c’était
Dans l’année annoncée et prédite, et la cime
Des monts eut un reflet étrange de l’abîme
Comme lorsqu’un flambeau rôde derrière un mur.
Et sa blancheur devint lumière, et dans l’azur
La clarté devint pourpre, et l’on vit poindre, éclore,
Et croître on ne sait quelle inexprimable aurore
Qui se mit à monter dans le haut firmament ;
Par degrés et sans hâte, et formidablement ;
Les herbes des lieux noirs que les vivants vénèrent
Et sous lesquelles sont les tombeaux, frissonnèrent ;
Et soudain, comme un spectre entre en une maison,
Apparut, par-dessus le farouche horizon,
Une flamme emplissant des millions de lieues
Monstrueuse lueur des immensités bleues,
Splendide au fond du ciel brusquement éclairci :
Et l’astre effrayant dit aux hommes : Me voici[2].

Tout cela ne vous dit pas si la comète de Halley contient du cyanogène.

  1. Dernière Heure. — Ces vers ne sont pas de M. Chapman mais bien d’un poète français qui eut quelque renom au siècle dernier. Il s’appelait, je crois, Victor Hugo.
  2. La Légende des Siècles, IV, pp. 17.