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MON ENCRIER

Des poètes et des échevins, des avocats, des prêtres, des médecins, trois juges, onze députés en un jour, deux sénateurs et un ministre. Ils ont vu la police. Oui, Messieurs, la police, en chair et en os, avec des boutons jaunes et de gros bâtons. Ils ont vu des huissiers… Je me rappelle celui qui vint un jour de la part de M. Turgeon. Il avait le front plat, les yeux ronds, les oreilles ourlées. Non-seulement il vit tout et il prit note de tout : la table, les quatre chaises, dont deux estropiées, les livres, les papiers, les presses, etc., mais encore, il flaira tout et il renifla tout. Je le vis successivement porter les mains, avec des gestes pâmés, sur tous les meubles, couvrir de ses attouchements impurs jusqu’aux vitres des fenêtres, palper avec une joie sadique les chaises, la table, et même les murs. Oh, le vieillard dépravé !

C’est ici tout de même que furent écrits tant de « libelles » fameux ! C’est en cet endroit que tel plagiaire se fit voler son honneur ; c’est sur cette vieille table que nous immolâmes la réputation de tel ou tel fripon. Nous avons, ici même, tordu le cou à bien des coquins, nous avons fait sauter la cervelle à bien des bandits. Comme ces caves d’hôtels tragiques, dont la Presse nous parle quelquefois, ces vieux bureaux contiennent plus d’un cadavre, — sans compter celui de l’ancien ministre Turgeon…