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LA FAILLITE (?) DU NATIONALISME

doit sauvegarder comme pays d’Amérique avant de lier

son sort à celui des nations de l’Europe. Une intervention de cette nature n’aurait nullement compromis l’avenir ; elle serait restée dans les bornes prévues par les Pères de la Confédération, qui voyaient, dans la Constitution de 1867 et les accords conclus avec la Grande-Bretagne, une libre association laissant au Canada toute faculté de contracter des alliances étrangères.

Mais c’est précisément ce que les impérialistes et les jingoes ne voulaient pas. Ils avaient décidé de profiter de la guerre pour couronner leur œuvre et atteindre le but suprême poursuivi depuis trente ans : la participation de tous les pays d’empire à toutes les guerres décidées par l’unique arbitraire des autorités du Royaume-Uni.

… (Ainsi) viciée dans son principe et sa pensée directrice, la participation du Canada à la guerre ne tarda pas (d’autre part) à prendre en fait des proportions désastreuses pour la sécurité nationale et l’équilibre économique du pays.

Après cela, — surtout si vous tenez compte de l’hypocrisie de nos jingoes, s’apitoyant sur le sort des « petites nationalités » d’Europe dans le même temps que leur persécution s’appesantissait le plus sur les minorités canadiennes-françaises de l’Ontario, du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta, — après cela la conclusion s’impose :

Puisqu’on refusait obstinément de placer la question sur le seul terrain où l’unité nationale aurait pu s’opérer, il ne nous restait qu’un devoir : nous retrancher dans les solides positions du nationalisme intégral, et tenir tête à l’assaut des impérialistes et des assimilateurs…

C’est ce que nous avons fait et je ne m’en repens pas…[1]

  1. « C’est ce que nous avons fait… »

    C’est ce qu’il n’avait pas fait, quoi qu’il dise, on n’y saurait trop insister. Jamais avant ce soir-là (12 janvier 1916), M. Bourassa n’était encore revenu ouvertement, une seule fois, sur l’acquiescement partiel que, dès le début de la guerre, il avait, contre l’avis de M. Héroux, jugé bon d’accorder « au fait accompli » de l’intervention ; jamais il n’avait cru devoir nous annoncer, une seule fois, son « retour au nationalisme intégral ». Loin de là, et nous voyons qu’à diverses reprises dans l’intervalle il l’avait au contraire, ce fameux « acquiescement », hautement et nettement réaffirmé.