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LA FAILLITE (?) DU NATIONALISME

le répéter dix fois, vingt fois, trente fois depuis — que le premier devoir d’un peuple est de servir son intérêt à lui d’abord, advienne que pourra du voisin :

Aux gens sincères… je conseille l’observation attentive de ce qui se passe dans les pays où le patriotisme a atteint sa pleine maturité, où il est l’expression d’un amour fort, sincère, réfléchi, pour la patrie ; et ils constateront que cet « égoïsme » national est le premier mobile de l’action des gouvernants et de l’unité morale des peuples. Je leur recommande tout particulièrement la lecture attentive du livre blanc publié par le gouvernement impérial, en justification de l’intervention de l’Angleterre dans la guerre actuelle.

Ils y perdront peut-être quelques illusions. Ils seront bien forcés de constater qu’aux yeux de sir Edward Grey et de ses collègues, le salut de la France et la protection de la Belgique sont restés, jusqu’au dernier jour, des considérations secondaires, entièrement subordonnées aux seuls intérêts de la Grande-Bretagne. Mais ce que le grand diplomate anglais perdra à leurs yeux comme « champion du droit et de la justice », il le regagnera comme défenseur habile, courageux et opiniâtre, des intérêts de son pays.

Notre patriotisme bruyant, enfantin et, somme toute, peu productif d’action, y gagnerait beaucoup à profiter de l’exemple de magnifique « égoïsme » que lui enseigne toute l’histoire de la diplomatie et de la politique anglaises, dont nos loyalistes parlent tant mais qu’ils semblent si peu comprendre.

En d’autres termes, nous ne saurions témoigner mieux de notre patriotisme, en tout temps et particulièrement à cette heure grave de notre existence nationale, qu’en faisant de notre intérêt propre, à l’imitation des Anglais, la stricte mesure de nos obligations.

Or, en quoi notre intervention dans la guerre européenne pouvait-elle servir l’intérêt cana-