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LE GOUVERNEUR[1]

M. M*** — de son prénom Joseph — était notre geôlier.

Il se faisait appeler le gouverneur. — « Le gouverneur vient de passer dans le 15… » se chuchotaient entre eux les détenus.

Si vous n’avez jamais été en prison, chère madame, c’est en vain que je tenterais de vous expliquer le sens profond que prenaient alors pour nous ces quatre syllabes : le gou-ver-neur.

Lui-même ne les prononçait jamais sans une certaine solennité. Il avait, notamment, une façon à lui de dire : « Ça, ça regarde le gouverneur… » qui évoquait tout de suite quelque chose de grand. — Pour cette âme simple, nul titre ne passait en majesté celui-là. M. M*** ne l’eût pas échangé contre un sirage. On l’eût presque insulté en lui disant Excellence, et je sais qu’il considérait comme un grave manque de respect qu’on l’appelât Monsieur

Avant de gouverner la prison de Québec, avec ses vingt-trois gardes et ses soixante-seize détenus, M. M*** avait eu un jour l’ambition de

  1. Extrait des Souvenirs de Prison, édités à Montréal en octobre 1910.