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Admirait au récit de cette docte Muse,

Dieux que je vous chéris ! Et que pour vous aimer

Je sens de feux plaisants qui me vont consommer !

Mais, aimable beauté que j'adore en idée, [205]

Par qui ma liberté se trouve possédée,

Quel bienheureux endroit de la terre ou des cieux

Jouit du bel aspect de vos aimables yeux ?

Aux traits de la pitié soyez un peu sensible :

Soulagez votre amant, et vous rendez visible : [210]

Beauté, je vais mourir si je tarde à vous voir.

Quel moyen dans mon mal d'attendre jusqu'au soir ?

Je n'en puis plus, beauté dont je porte l'image,

Mon désir violent se va tourner en rage :

Je pâme, je me meurs : Ô céleste beauté [215]

En quels excès de maux m'as-tu précipité ?



Scène VI



Hespérie, Filidan


HESPÉRIE
.


Cet amant s'est pâmé dès l'heure qu'il m'a vue ;

De quels traits, ma beauté, le ciel t'a-t-il pourvue ?

En sortant du logis je ne puis faire un pas

Que mes yeux aussitôt ne causent un trépas. [220]

Pour moi je ne sais plus quel conseil je dois suivre :

Le monde va périr, si l'on me laisse vivre,

Dieux ! Que je suis à craindre ! Est-il rien sous les cieux

Au genre des humains plus fatal que mes yeux ?

Quand je fus mise au jour, la Nature peu fine [225]

Pensant faire un chef-d'oeuvre avançait sa ruine.

On compterait plutôt les feuilles des forêts,

Les sablons de la mer, les épis de Cérès,

Les fleurs dont au printemps la terre se couronne,

Les glaçons de l'Hiver, les raisins de l'Automne, [230]

Et les feux qui des nuits assistent le flambeau,

Que le nombre d'amants que j'ai mis au tombeau.

Celui-ci va mourir, lui rendrai-je la vie ?

Je le puis d'un seul mot, la pitié m'y convie.

FILIDAN
.


Bel azur, beau coral, aimables qualités. [235]

HESPÉRIE
.


Il n'est pas mort encore, il rêve à mes beautés.

Le dois-je secourir ? J'en ai la fantaisie.